La chronique de Cinégridine
Mickey 17 de Bong Joon-ho
(15.03.2025)
Film: Mickey 17
Réalisateur: Bong Joon Ho
Année: 2025
Un milliardaire malheureux en politique veut implanter un colonie sur une autre planète. Toute personne ne souhaitant plus vivre sur Terre est invitée à embarquer dans le vaisseau pour un voyage de plus de 4 ans. Mickey petit délinquant, prend part à l'aventure en tant que cobaye de la mission. Il a ce tout petit avantage d'être ressuscité en étant réimprimé à chaque fois qu'il meurt...
C'est pas mal mais peut mieux faire...
Mickey 17 est une satire spatiale à la fois politique (dénonçant toute idée de conquête, de colonialisme et de neo-liberalisme) et écolo (cette faune autochtone menacée). C'est drôle, gagesque, l'univers fait un peu penser à du Terry Gilliam... et pourtant je ne suis pas complètement convaincue. Un manque de subtilité ? de profondeur ? de poésie... ? je ne saurais à l'heure actuelle pas vraiment formuler les manquements. Je sais une chose c'est que l'intrigue concernant les aliens m'a plus touchée que la condition de cobaye, reprographié et immortel de Mickey... Bref un film à découvrir malgré des réserves...
Cinégridine
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La chronique de Cinégridine
The Brutalist de Brady Corbet
(03.03.2025)
The brutalist, un film de Brady Corbet - © Universal Pictures
Film: The Brutalist
Réalisateur: Brady Corbet
Année: 2024
L'histoire sur 30 ans d'un architecte juif hongrois, survivant de la shoah qui débarque aux États-Unis pour une vie meilleure.Le rêve américain et ses obstacles. The Brutalist évoque cette quête idéalisée après avoir vécu les horreurs de la guerre. Le difficile cheminement vers l'intégration, l'acceptation d'un pays sensé être un terre d'accueil et d'opportunité. Les relations toxiques, tentaculaires et cruelles avec un mécène symbole du capitalisme roi et des promesses décues de cette nouvelle patrie. Des retrouvailles avec une épouse, marquées par les traumatismes de la déportation.
The brutalist c'est aussi cette architecture moderne épurée et bétonnée (qui m'a fait penser à un grand lycée route de Montabo à Cayenne), ce projet monumental d'une vie dont la réalisation est semée d'embûches, un parallèle à propos avec la vie du héros. C'est aussi de façon plus formelle ce joli paradoxe. À la fois une œuvre digne des plus grands classiques du cinéma avec un chapitrage et une temporalité à l'ancienne. Mais c'est aussi une mise en scène qui émerveille autant qu'elle surprend par son originalité. Un tout petit bémol, la VF, j'aurais tellement aimé le découvrir en VO. Bref, du grand cinéma, à voir.
Cinégridine
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Circus Baobab à la Scala
Eléonore Bassop
(23.02.2025)
Le cirque d’aujourd’hui ne se limite plus à l’exploit technique : il raconte, questionne, bouscule. Dans cette mouvance, Circus Baobab s’impose comme une référence, mêlant prouesses acrobatiques et récit engagé. Avec “Yongoyely”, la troupe guinéenne dévoile une fresque intense où les corps racontent la quête de liberté et la résilience face aux traditions oppressives.
Dans un décor inspiré des rues de Conakry, voltige, barre russe, mas chinois et fouet deviennent les instruments d’une narration puissante. Les artistes, finalistes de La France a un incroyable talent en 2022, transforment l’espace scénique en un terrain de lutte et d’émancipation, porté par une mise en scène immersive de Yann Ecauvre et une direction artistique de Kerfalla Camara.
Ce spectacle s’inscrit dans une dynamique qui redéfinit l’art du cirque. À l’image du Cirque Mandingue, Circus Baobab explore de nouvelles façons de toucher le public, en fusionnant tradition et modernité, énergie brute et poésie visuelle. “Yongoyely” est une expérience qui fait vibrer autant qu’elle interpelle, où chaque saut devient un acte de résistance, chaque mouvement un souffle d’espoir.
📅 Du 22 février au 2 mars 2025
📍 La Scala, 13, boulevard de Strasbourg, Paris 10e
🎟 Infos & réservations sur : www.lascala-paris.fr
Pretty Yende, une "Semele" flamboyante
au Théâtre des Champs-Elysées
Eléonore Bassop
(17.02.2025)
Il est des voix qui captivent avant même que le rideau ne se lève. Celle de Pretty Yende en fait partie. Originaire d’un village sud-africain, la soprano à l’ascension fulgurante fait aujourd’hui vibrer les plus grandes scènes du monde. Après avoir marqué la réouverture de Notre-Dame et conquis La Scala, elle a enflammé le Théâtre des Champs-Élysées avec Semele, l’oratorio incandescent de Haendel.
Sur scène, Pretty Yende incarne une Semele à la fois capricieuse et passionnée, séduite par Jupiter mais surtout fascinée par son propre reflet, à l’image de Narcisse. Entre désir et ambition, elle se laisse emporter par sa quête d’immortalité, jusqu’à en être consumée. Un rôle taillé pour la soprano qui allie éclat vocal et expressivité saisissante.
Derrière son aura de star, Pretty Yende reste une artiste instinctive et solaire. Son parcours relève du conte moderne : une publicité entendue à la radio, un coup de foudre pour l’opéra et une trajectoire qui l’a menée des bancs du conservatoire du Cap aux plus prestigieuses maisons lyriques. Un destin presque mythologique, mais avec une issue bien plus lumineuse.
Avec Semele au Théâtre des Champs-Élysées, Pretty Yende a une fois de plus imposé sa signature. Une performance magistrale qui confirme son rayonnement sur la scène lyrique internationale.



Pretty Yende et Ben Bliss dans « Semele », de Georg Friedrich Haendel, au Théâtre des Champs-Elysées, le 2 février 2025.
VINCENT PONTET
Pretty Yende et Niamh O'Sullivan dans «Semele», de Georg Friedrich Haendel, au Théâtre des Champs-Elysées, le 2 février 2025. VINCENT PONTET
« Semele », de Georg Friedrich Haendel, au Théâtre des Champs-Elysées, le 2 février 2025. VINCENT PONTET
Epiphanies
selon Augustin Frison-Roche
Eléonore Bassop
(10.02.2025)
Pour beaucoup, l’Épiphanie se résume à partager une galette et à tirer les reines et rois d’un jour. Mais sait-on encore que l’Épiphanie est, avant tout, la commémoration de l’adoration des Rois Mages devant l’enfant Jésus ? Cette rencontre entre l’humanité et le divin, entre la quête et la révélation, trouve une résonance singulière dans l'exposition Épiphanies d’Augustin Frison-Roche, présentée au Collège des Bernardins. À travers dix-neuf toiles, l’artiste explore le motif de l’apparition et de la révélation, qu’elles soient bibliques, artistiques ou personnelles.
Dès l’entrée dans la nef du Collège des Bernardins, on pénètre dans un espace qui semble suspendu entre deux mondes. Les colonnes gothiques se dressent comme une forêt immémoriale, écho à la série La forêt était devenue une immense basilique. Ce titre, emprunté à J.K Huysmans (1848-1907), écrivain du XIXe siècle, dit tout : la nature n’est plus seulement paysage, elle est transfiguration. Dans ces toiles, le regard se perd entre des troncs élancés, guettant une lumière lointaine, un éclat d’or qui guiderait vers l’aurore.
Plus loin, L’Étoile, suspendue à l’entrée de l’ancienne sacristie, marque une étape essentielle du parcours. Comme celle qui guida les Mages, elle invite à avancer. Les sept jours de la Création, L’Esprit, Cana… autant de toiles qui revisitent la Genèse et le Nouveau Testament, non comme des récits illustrés mais comme des visions. L’Adoration des Mages, monumentale, rappelle les grands retables médiévaux où l’or embrasait le regard. Augustin Frison-Roche y fait dialoguer la tradition et l’inattendu: sa palette est vive, vibrante, à la croisée de Klimt et de la fresque byzantine, avec cette audace des peintres symbolistes, pour qui la lumière ne s’imite pas, mais se révèle.
Chaque œuvre est une variation sur l’épiphanie, cette irruption du sens que James Joyce (1882-1941), écrivain irlandais, décrivait dans son concept d’ « Epiphanie », comme l’instant où la réalité se révèle sous un jour nouveau. Augustin Frison-Roche traduit cette fulgurance en peinture: l’or, omniprésent, capte la lumière sous des angles changeants, les formes oscillent entre abstraction et figuration, et les thèmes religieux sont abordés avec une liberté picturale qui leur donne une dimension contemporaine.
Le point d’orgue de l’exposition est L’Assomption, un tableau circulaire de près de quatre mètres de diamètre, bientôt installé dans la cathédrale de Cambrai. Suspendue à trente mètres du sol, on y voit la Vierge Marie s’élever, portée par un halo d’or. Cette œuvre imposante ne sera jamais vue de près, mais toujours dans une perspective ascendante, comme un appel à lever les yeux.
Avec Épiphanies, Augustin Frison-Roche propose une peinture qui ne cherche pas à imposer une vérité mais à ouvrir un espace de contemplation. Entre héritage et modernité, tradition et expérimentation, il rappelle que l’art, au-delà des croyances, a ce pouvoir unique de faire surgir l’inattendu.
Informations pratiques :
Exposition : Épiphanies d’Augustin Frison-Roche
Lieu : Collège des Bernardins, Paris
Dates : Du 9 janvier au 26 février 2025
Entrée libre

L'Assomption (2024)
Technique mixte sur bois et feuille d'or, Cathédrâle de Cambrai

Cana (2024)
Huile sur bois et feuille d'or

Septième jour (2024)
Huile sur bois et feuille d'or

L'Adoration des Mages
Huile sur bois et feuille d'or
Giorgio De CHIRICO, La Tour rouge, 1913,
huile sur toile, 73,5 x 100,5 cm, Venise, Peggy Guggenheim Collection
(Solomon R. Guggenheim Foundation, New York)
©David Heald ©ADAGP, Paris 2024
Eugène BOUDIN, La Poissonnerie de Trouville, 1875,
huile sur bois, 24 x 36 cm, Giverny,
musée des impressionnismes, don de Christophe et Teresa Karvelis-Senn, 2023
©MDIG/Jean-Charles Louiset
Feng Zikai :
La poésie de l'instant
Eléonore Bassop
(13.12.2024)
Dans le calme feutré du Centre culturel de Chine à Paris, les œuvres de Feng Zikai (1898-1975) s’étendent, suspendues comme des haïkus visuels. L’exposition Sentiments humains, présentée du 21 novembre au 10 décembre 2024, était bien plus qu’une simple rétrospective : elle offrait une rencontre intime avec l’essence même de l’humanité, dans ce qu’elle a de plus universel et de plus fragile.
Né dans le bourg de Shimen, au Zhejiang, Feng Zikai était un artiste aux multiples facettes : caricaturiste, écrivain, éducateur, traducteur et pionnier du manhua, la bande dessinée chinoise moderne. Élève de grands maîtres comme Li Shutong, qui lui enseigna la peinture et la musique, il développa un style unique, où la simplicité du trait rencontrait la profondeur du regard. À l’encre et en quelques lignes, il capturait la vie quotidienne avec une tendresse qui transfigurait l’ordinaire.
L’exposition dévoilait une cinquantaine de ses œuvres, offrant aux visiteurs un voyage dans un monde où l’humour, la douceur et la réflexion se mêlent avec évidence. Une mère et son enfant, un passant sous la pluie, une scène de marché : autant d’instants fugaces saisis avec une grâce dépouillée. Dans la sobriété de ces dessins, une voix semblait murmurer que la beauté ne réside pas dans le spectaculaire, mais dans la simplicité du présent, dans ces gestes anodins qui tissent nos existences.
Pour Feng Zikai, l’art n’était pas un refuge, mais un langage pour exprimer l’indicible. Il croyait que l’encre sur le papier pouvait capturer une émotion aussi sûrement qu’un poème ou une mélodie. Aujourd’hui encore, ses œuvres nous rappellent que l’essentiel est souvent déjà là, à portée de regard, si l’on sait ralentir pour l’accueillir.
À une époque saturée d’images et d’urgence, l’art de Feng Zikai nous invite à redécouvrir la lenteur et l’attention aux choses simples. Ses dessins, empreints d’humour et de tendresse, traduisent une philosophie humaniste où chaque sourire discret devient une résistance au tumulte du monde.
Avec cette exposition, le Centre culturel de Chine ne célébrait pas seulement un grand artiste : il offrait aux visiteurs une clé pour mieux voir, mieux ressentir, mieux comprendre. Feng Zikai laisse derrière lui un héritage précieux : celui de transformer l’instant en éternité et de révéler, dans chaque trait de pinceau, un éclat de l’âme humaine.

Porter son enfant sur son dos
(inspiré des entretiens de Confucius)
Encre et couleurs sur papier

Je voudrais monter dans le ciel pour attraper la lune
(vers extrait d'un poème de Li Bai, dynastie Tang)
Encre et couleurs sur papier

Réunion
Encre et couleurs sur papier

Elles rentrent coiffées de simples feuillages
(vers extrait d'un poème de Teng Chuanyin dynastie Tang)
Encre et couleurs sur papier

Sur un cheval de bambou tu venais
(vers extrait d'un poème de Li Bai,
dynastie Tang)
Encre et couleurs sur papier

Nid de moineaux
Encre et couleurs sur papier

Retrouver sa juste place
Encre et couleurs sur papier

Les enfants ne connaissent pas le printemps
(vers extrait d'un poème de Yuan Mei dynastie Qing)
Encre et couleurs sur papier

Jeune mère
Encre et couleurs sur papier

Le charme des jours d'hiver
Encre et couleurs sur papier
Giorgio De CHIRICO, La Tour rouge, 1913,
huile sur toile, 73,5 x 100,5 cm, Venise, Peggy Guggenheim Collection
(Solomon R. Guggenheim Foundation, New York)
©David Heald ©ADAGP, Paris 2024
Eugène BOUDIN, La Poissonnerie de Trouville, 1875,
huile sur bois, 24 x 36 cm, Giverny,
musée des impressionnismes, don de Christophe et Teresa Karvelis-Senn, 2023
©MDIG/Jean-Charles Louiset
Les Senn :
Collectionneurs et Mécènes
Eléonore Bassop
(18.11.2024)
Le Musée d’art moderne André-Malraux (MuMa) du Havre, sous la direction de Géraldine Lefebvre et Michaël Debris, met en lumière l’héritage artistique de la famille Senn, collectionneurs et mécènes ayant profondément marqué le paysage culturel français. Au fil d’un parcours retraçant l’histoire de cette famille d’industriels havrais, l’exposition offre un aperçu d’une collection transmise de génération en génération, témoignant de l’engagement familial pour l’art et de la volonté de partager un patrimoine culturel.
Le Havre, Berceau de l’Art Moderne
Le Havre, berceau de l’impressionnisme, est un lieu où passé et présent de l’art moderne se rejoignent. C’est ici que Monet peignit Impression, Soleil Levant en 1872, une œuvre phare du mouvement impressionniste. Aujourd’hui, le Musée d’Art Moderne André Malraux (MuMa) perpétue cet héritage avec sa prestigieuse collection. L’exposition des œuvres d’Olivier Senn au MuMa offre un voyage à travers les grandes révolutions artistiques du XXe siècle, alliant richesse culturelle et modernité audacieuse.
Olivier Senn, Mécène et Collectionneur Visionnaire
Né en 1863 dans une famille de négociants en coton, à une époque où les grandes fortunes bourgeoises se bâtissaient dans les colonies, Olivier Senn grandit au Havre, un port prospère à la fin du XIXe siècle grâce à ses échanges intenses avec l’Amérique et l’importation de produits tropicaux. Comme l’illustre la formule attribuée à Eugène Boudin, « Pas de coton, pas de tableaux », la fortune d’Olivier Senn a permis non seulement de prospérer mais aussi de collectionner des œuvres d’art et de soutenir les artistes.
Dès ses premières acquisitions, il se distingue par un regard avisé et un goût affirmé pour l’innovation. En 1916, il s’intéresse à des artistes comme Paul Sérusier, dont les œuvres, encore sous-estimées à l’époque, occupent une place centrale dans sa collection.
Son mécénat dépasse la sphère privée. Dès 1913, il fait don d’œuvres majeures au musée du Havre, dont une esquisse de Héliodore chassé du temple d’Eugène Delacroix. Ce geste inaugure une série de donations aux collections publiques, notamment au musée du Luxembourg, enrichissant les fonds de chefs-d’œuvre de Matisse, Marquet, et Cross.
Un Portrait de Famille : Les Membres de l’Illustre Famille Senn
La vocation culturelle d’Olivier Senn s’inscrit dans une dynamique familiale de préservation et de partage de leur patrimoine. Cette transmission franchit les océans avec sa fille Alice, installée aux États-Unis avec son mari Rodolphe Rufenacht avant la Seconde Guerre mondiale, qui reste profondément investie dans l’essor et la sauvegarde de cet héritage. Son fils, Edouard Senn, poursuit cette tradition en magnifiant les collections publiques par ses donations.
En 2004, Hélène Senn-Foulds, petite-fille d’Olivier, perpétue cet élan en offrant au MuMa la collection héritée de son grand-père, la rendant accessible à tous. Son cousin, Christophe Karvelis-Senn, se consacre, pour sa part, à la recherche et à la documentation des œuvres, permettant ainsi une meilleure compréhension de ce corpus d’œuvres d’art.
La mémoire de la famille Senn s’ancre également dans des portraits réalisés par des artistes renommés. Jean Benner (1836-1906) immortalise Hélène Siegfried, future épouse d’Olivier Senn, ainsi qu’Olivier et son frère Maurice. Plus tard, Leslie Giffen Cauldwell (1861-1941) peint Hélène Senn en 1915, ainsi que des portraits d’Edouard et de Jacqueline Rufenacht, âgée de 10 ans. Ces portraits incarnent l’alliance entre histoire familiale et tradition artistique.
Les Grands Courants de l’Art Moderne : Une Collection Diversifiée
La collection Senn offre un vaste panorama des grands courants de l’art moderne, du fauvisme à l’abstraction, en passant par l’expressionnisme, le cubisme et le surréalisme. Elle reflète les ruptures et innovations qui redéfinissent l’art au XXe siècle. Chaque œuvre incarne la vitalité des mouvements de cette époque.
Le fauvisme se distingue par sa recherche de couleurs vives et de contrastes intenses, magnifiquement illustrée par des œuvres issues du Salon des Indépendants de 1905. Dans Le Vieil Arbre d’André Derain et Les Bords de Seine à Nanterre de Maurice de Vlaminck, on ressent toute la vitalité de la scène parisienne, exprimée dans des tonalités qui bouleversent les conventions du réalisme. La Nature Morte au Pichet d’Henri Matisse manifeste la liberté chromatique propre au fauvisme, chaque coup de pinceau traduisant une vision profondément personnelle.
Le surréalisme naissant se révèle à travers des œuvres acquises lors du Salon d’Automne de Paris en 1913, dont La Tour Rouge de Giorgio de Chirico, qui plonge le spectateur dans des paysages urbains énigmatiques. Paysage de Diego Rivera, avec sa composition classique, mêle effets de couleurs et formes géométriques, illustrant un équilibre subtil entre tradition et modernité.
Les dons d’Olivier Senn au Musée du Luxembourg révèlent également son intérêt pour l’impressionnisme et le post-impressionnisme. Arbres au Bord de la Mer d’Henri-Edmond Cross évoque une lumière vibrante et méditative, tandis que La Rue des Saules à Montmartre de Léon-Alphonse Guizet invite à une flânerie poétique dans les rues de Paris. La Femme Blonde d’Albert Marquet, pièce maîtresse de l’exposition, rappelle l’Olympia de Manet par sa composition intime et son jeu de tons clairs, mais y ajoute la douceur et la spontanéité propres à Marquet.
Olivier Senn ne se contente pas de suivre les tendances de son époque. En co-fondant le Cercle de l’Art moderne du Havre en 1906, il s’engage dans une démarche de préservation et d’étude. Sa collection comprend des œuvres du mouvement Nabi, comme Les Licornes de Paul Sérusier, riche en symbolisme et en couleurs, ainsi que des études de maîtres comme Degas, avec son Étude de Mains, et Boudin, dont les Études de Ciel saisissent l’âme changeante des paysages normands.
La collection embrasse également l’abstraction naissante, représentée par l’œuvre de Picasso, Le Mendiant de sa période bleue, qui témoigne de la sensibilité du peintre face à la condition humaine.
Enfin, des œuvres de Pierre Bonnard, comme Paysage d’Automne, et de James Abbott McNeill Whistler, avec son Projet de Mosaïque, explorent une vision plus contemplative de la nature et de l’espace.
Ainsi, la collection Senn invite à un voyage à travers l’histoire de l’art moderne, révélant les ruptures et continuités d’une époque fascinée par la couleur, l’émotion et l’expérimentation.
L’ampleur de la collection Senn repose aussi sur le rôle essentiel des marchands d’art qu’Olivier Senn fréquente et comprend. En étroite relation avec des figures emblématiques comme Ambroise Vollard, Paul Durand-Ruel et Alexandre Bernheim, il accède à des œuvres fondamentales, ce qui façonne son goût et oriente ses choix. Grâce à ces échanges, il enrichit sa collection d’œuvres novatrices et contribue à la valorisation et à la diffusion de l’art moderne en France.
L’Art : Un Héritage à Transmettre
L’exposition de la collection Senn au MuMa du Havre est bien plus qu’une simple présentation d’œuvres d’art ; elle incarne un acte de transmission. Loin de toute logique de spéculation, cette démarche reflète une aspiration de faire de l’art un patrimoine vivant et pérenne, porteur d’un héritage culturel transcendant les limites du temps et de l’appartenance.
Informations pratiques
Lieu : Musée d’Art Moderne André Malraux (MuMa), Le Havre
Dates : Du 16 novembre 2024 au 16 février 2025
Pour plus d’informations : https://www.muma-lehavre.fr/fr

Jean BENNER, Portrait d’Olivier Senn, 1874, huile sur toile, 46,3 x 37,7 cm, collection particulière ©François Dugué

Portrait d'Olivier Senn dans son appartement parisien, 10 avenue d'Iéna, après 1931.
Photographie Le Havre, Archives du MuMa

Diego RIVERA, Paysage, s.d.,
huile sur panneau de bois, 36,2 x 44,5 cm, collection particulière
© 2024 Banco de México Diego Rivera Frida Kahlo Museums Trust, Mexico, D.F. / ADAGP, Paris 2024

André DERAIN, Le Vieil Arbre, 1904,
huile sur toile, 41x 33 cm, Paris, Centre Pompidou, MNAM/CCI. Achat, 1951
©Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMNGrand Palais / Philippe Migeat ©ADAGP, Paris 2024

Paul SÉRUSIER, Les Licornes, 1913,
huile sur toile, 60 x 81 cm, collection particulière ©Courtoisie Oger

Henri MATISSE, Paysage, 1919,
huile sur carton toilé, 38 x 46 cm, Le Havre, musée d’art moderne André Malraux, collection Édouard Senn, donation Hélène Senn-Foulds, 2004
©Succession Matisse 2024 © MuMa Le Havre/Florian Kleinefenn

Henri Edmond CROSS, Etude pour « Paysage de Bormes », 1907,
aquarelle sur papier vélin, 16 x 23 cm, collection particulière ©Wilson Graham

Giorgio De CHIRICO, La Tour rouge, 1913,
huile sur toile, 73,5 x 100,5 cm, Venise, Peggy Guggenheim Collection
(Solomon R. Guggenheim Foundation, New York)
©David Heald ©ADAGP, Paris 2024

Albert MARQUET, Femme blonde, 1919,
huile sur toile, 98,5 x 98,5 cm, Paris, Centre Pompidou, MNAM/CCI,
don Olivier Senn au musée du Luxembourg, 1939
©Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat

Eugène BOUDIN, La Poissonnerie de Trouville, 1875,
huile sur bois, 24 x 36 cm, Giverny,
musée des impressionnismes, don de Christophe et Teresa Karvelis-Senn, 2023
©MDIG/Jean-Charles Louiset
Kim Won Kuk :
dialogue entre histoire, mémoire et cinéma
Eléonore Bassop
(31.10.2024)
Le 30 octobre dernier, l’auditorium du Centre Culturel Coréen à Paris était comble pour une master class attendue : Kim Won Kuk, producteur emblématique du cinéma sud-coréen et fondateur de Hive Media Corp, partageait ses expériences et réflexions devant un public de cinéphiles français, curieux d’en apprendre davantage sur l’homme qui a su marquer son époque. La rencontre, modérée par Emmanuelle Spadacenta, offrait un aperçu de la vision d’un producteur dont les œuvres ont traversé les frontières et dont l’impact va bien au-delà de la simple création cinématographique.
Le Festival du Film Coréen à Paris, qui célèbre cette année sa 19e édition, est l’un des moments les plus prisés par les amateurs de cinéma coréen en France. Kim Won Kuk y est présent pour la projection de son dernier film, Handsome Guys, qui ouvre cette édition. Plus qu’une simple présentation, cette master class s’apparente à une plongée dans l’âme du cinéma coréen, un cinéma qui, depuis quelques années, capte l’attention mondiale tout en restant profondément enraciné dans son histoire et ses valeurs.
Un cinéma entre le passé et le présent
Hive Media Corp, fondée par Kim en 2014, est rapidement devenue une pierre angulaire de l’industrie cinématographique coréenne. Avec plus d’une douzaine de longs-métrages, le producteur a su séduire le public national et international. Parmi ses succès les plus retentissants figure 12.12: The Day, un drame historique qui a attiré 13 millions de spectateurs en Corée en 2023. Ce film, qui retrace les événements entourant l’assassinat du président Park Chung Hee en 1979, marque un tournant pour l’industrie : il témoigne de la manière dont le cinéma peut explorer les zones sensibles de l’histoire nationale tout en captivant un large public.
Interrogé sur sa relation à l’histoire, Kim Won Kuk exprime un attachement profond aux récits contemporains de son pays. “J’ai toujours aimé l’histoire de la Corée,” confie-t-il, “et c’est ce que je veux transmettre au public.” Dans ses productions, Kim s’efforce de trouver un équilibre entre fidélité historique et exigence artistique. Pour 12.12: The Day, par exemple, il a recueilli des témoignages et exploré des archives afin de rester au plus près des faits, évitant ainsi l’écueil de la dramatisation abusive, souvent reprochée par le public coréen.
Le cinéma, un remède social ?
Cette fidélité à l’histoire, alliée à une sensibilité artistique, fait des œuvres de Kim Won Kuk bien plus que de simples divertissements. À travers ses films, il tente de sonder la société coréenne, d’interroger sa mémoire collective, et, peut-être, de l’apaiser. “Je ne sais pas si les films aident la société, mais ils peuvent contribuer à faire évoluer les mentalités,” explique-t-il. Cette idée fait écho au concept coréen de han, une forme de tristesse empreinte de résilience qui imprègne la culture coréenne. Han, explique Kim, “est une émotion unique, un blues à la coréenne, qui résume l’histoire de nos épreuves et de notre capacité à surmonter.” Ce sentiment, difficile à traduire, exprime une mélancolie propre à la culture coréenne qui imprègne profondément le cinéma national. Il évoque les thèmes chers aux auteurs sud-coréens comme Lee Seung-U, avec La Vie rêvée des plantes, ou Hwang Sok-yong, auteur de La Route de Sampo. Les personnages de ces romans, chargés de fatalité, incarnent souvent une lutte silencieuse contre le destin.
La vision d’un producteur pragmatique
Kim Won Kuk sait toutefois que le succès du cinéma coréen tient aussi à un pragmatisme sans faille. Aujourd’hui, la Corée du Sud se distingue par des œuvres cinématographiques reconnues, mais la réalité du marché est exigeante. Kim partage avec sincérité les défis financiers et commerciaux de son métier. “Depuis la pandémie, les attentes du public ont changé,” remarque-t-il. “Les gens ne vont voir un film que s’il a reçu de bonnes critiques ; sinon, ils attendent sa sortie en streaming.” Cette évolution du comportement des spectateurs a conduit les studios à adapter leurs stratégies, produisant moins de films et misant sur des succès garantis.
Malgré l’influence croissante des plateformes comme Netflix, Kim reste profondément attaché à l’expérience en salle, même s’il s’adapte à l’essor de la production pour le streaming. Son prochain projet, en collaboration avec Disney+, illustre bien cette tension entre les films pensés pour le cinéma et ceux destinés aux plateformes. Il s’agit d’une suite à Inside Men, qui, bien qu’elle soit lancée en streaming, porte toujours l’empreinte de l’intention cinématographique initiale. Selon Kim, ce format offre l’opportunité d’explorer des aspects narratifs restés inexploités dans le film original, enrichissant ainsi l’univers de l’œuvre.
Une reconnaissance internationale tout en gardant une âme coréenne
Les œuvres de Kim Won Kuk s’exportent de plus en plus, mais il insiste sur le fait que ses films sont d’abord destinés aux spectateurs coréens. Cette approche peut surprendre, mais elle reflète une vision sincère : “Je produis des films pour les Coréens ; si cela parle à d’autres, tant mieux.” En effet, il n’hésite pas à développer des projets très localisés dans leurs thèmes et leurs contextes, comme Inside Men ou Forbidden Dream, qui rencontrent un public international tout en restant profondément ancrés dans la culture coréenne.
Lorsqu’on l’interroge sur le cinéma français, Kim souligne son influence marquante. Dans les années 90 et 2000, les films français ont rencontré un grand succès en Corée, marquant toute une génération de cinéphiles coréens qui ont grandi avec ces œuvres. Ces films permettaient non seulement de découvrir la culture française, mais stimulaient également l’intérêt pour la France en tant que destination touristique. Des maisons de production majeures, comme EuropaCorp, ont laissé leur empreinte avec des films très populaires. Aujourd’hui encore, Kim Won Kuk exprime son admiration pour le cinéma français, qu’il considère comme une référence d’authenticité et d’impact artistique. Prochainement, il aspire à développer un projet en Corée inspiré d’un fait divers impliquant une famille française installée en Corée – une affaire judiciaire qui a suscité un fort retentissement, tant en Corée du Sud qu’en France.
Une industrie en mutation
Le cinéma coréen, malgré son essor international, traverse une période complexe. La baisse du nombre de productions, la concentration des blockbusters, les tensions sur les budgets de production et la pression des plateformes de streaming modifient profondément le paysage.
Kim Won Kuk conclut cependant sur une note optimiste, soulignant que ces difficultés offrent aussi une opportunité pour des films de qualité. Dans un système où seuls les meilleurs films parviennent à attirer le public, il voit une chance de renforcer l’identité du cinéma coréen.
Cette master class, bien plus qu’une simple leçon de cinéma, a révélé la philosophie d’un homme qui considère chaque film comme le travail d’un architecte, construisant un pont entre le passé et le présent, entre la mémoire et la société. En quittant le Centre Culturel Coréen ce soir-là, chacun portait en soi un peu de han, ce sentiment qui résonne comme une ode à la persistance, à la culture, et à l’art de raconter l’histoire.
Festival du Film Coréen à Paris, 2024
Kim Won Kuk, Producteur,
Fondateur de Hive Media Corp
A Normal Family,Jin-Ho Hur, 2023
12.12 : The Day, Kim Sung-su, 2023
Deliver Us From Evil, Won-Chan Hong, 2020
Inside men, Min-ho Woo, 2015
Gonjiam : Haunted Asylum, Beom-sik Jeong, 2018
The Drug King, Min-ho Woo, 2018
Forbidden Dream, Jin-Ho Hur, 2018
Handsome Guys, Donghyub Nam, 2024
L'Homme du Président, Woo Min-ho, 2020
Jean-Baptiste Oudry
et les Chasses Royales
Eléonore Bassop
(22.10.2024)
L’exposition "Oudry, peintre de courre : Les chasses royales de Louis XV", en cours au Château de Fontainebleau jusqu’au 27 janvier 2025, offre une immersion saisissante dans l'univers somptueux de la chasse à courre, symbole de prestige et de pouvoir sous l’Ancien Régime. À travers une cinquantaine d’œuvres du maître animalier Jean-Baptiste Oudry, ce parcours met en lumière l’alliance intime entre art, nature et cérémonial royal, une fusion magnifiée sous le règne de Louis XV.
Dans cette époque où la chasse était bien plus qu'un simple passe-temps, Oudry saisit avec une virtuosité inégalée les scènes épiques de la vénerie, cet art de poursuivre le gibier à cheval avec une meute de chiens. Chaque toile est une ode à la nature maîtrisée, où les chiens royaux, les chevaux et le cerf, figures centrales de ce rituel fastueux, prennent vie sous le pinceau délicat du peintre. Les œuvres exposées dévoilent une technicité saisissante : le mouvement des animaux, la lumière filtrant à travers les feuillages, et la majesté des paysages de chasse transforment ces tableaux en de véritables témoignages d’un art de vivre royal. Fontainebleau, résidence de chasse privilégiée des rois, est ainsi l’écrin idéal pour cette exposition.
Les Tapisseries : Un Art en Trois Dimensions
Oudry ne se contenta pas de peindre des scènes de chasse. Il fut également chargé de concevoir les cartons pour les fameuses tapisseries des Gobelins. Initialement commandé pour trois scènes de chasse en 1733, son projet s’étendit à neuf grands cartons, dont six sont aujourd’hui exposés. La restauration méticuleuse de ces pièces, assurée par le Centre de recherche et de restauration des musées de France, révèle la finesse de la palette d’Oudry. Son usage du blanc, comparé par Vincent Cochet, conservateur en chef du château, à l’audace moderniste de Malevitch, démontre une sensibilité chromatique remarquable.
Le visiteur pourra admirer ces chefs-d'œuvre au sein de l’appartement des Chasses, un espace d’ordinaire fermé au public, où la délicatesse des tapisseries et leur dimension monumentale rivalisent avec les plus belles créations de l’époque.
Chasser pour Régner : Une Symbolique du Pouvoir
Loin de se réduire à une simple pratique sportive, la chasse pour Louis XV revêtait une dimension politique et symbolique. Héritée des anciens rois, la vénerie royale était l’expression même de l’autorité et de la tradition monarchique. Chasser, c’était gouverner. L’organisation méticuleuse des battues, l’entretien des meutes royales et le faste des cortèges traduisent un ordre rigide où chaque élément, chaque geste, renforce la stature du souverain.
Pour Louis XV, qui chassait presque quotidiennement, ce rituel était un art de vivre mais aussi un outil diplomatique. La chasse permettait de resserrer les alliances et d’affirmer la prééminence du pouvoir royal. Être convié à assister aux chasses du roi, voire à partager le souper à l’issue de la journée, relevait du privilège suprême, réservant cet honneur à une élite triée sur le volet.
Un Rituel Universel
Si la chasse à courre de l’Europe monarchique semble unique, elle trouve des échos dans d’autres cultures royales du monde. Dans la Perse antique, la chasse avec des faucons, appelée qazaq, incarnait également le prestige royal. En Afrique de l’Ouest, les monarques du Dahomey s’adonnaient à la chasse pour démontrer leur pouvoir sur la nature, rappelant les liens étroits entre force physique, sagesse stratégique et autorité. Au Japon, le Takagari, ou chasse au faucon, prisée des samouraïs, symbolisait un équilibre entre la maîtrise de soi et la domination de l'environnement.
À travers ces traditions, on discerne un fil conducteur : la chasse est bien plus qu’un loisir, elle incarne la relation complexe entre l’homme, la nature et le pouvoir. Victor Hugo, dans Les Misérables, illustre ce rapport à travers Jean Valjean : "Il y a un spectacle plus grand que la mer, c'est le ciel; il y a un spectacle plus grand que le ciel, c'est l'intérieur de l'âme." Ici, la chasse devient une métaphore : une quête du contrôle, mais aussi une introspection de la puissance humaine face à l'immensité naturelle.
Oudry, l’Illustrateur des Fables de La Fontaine
Jean-Baptiste Oudry ne fut pas seulement un peintre de la cour, mais aussi un brillant illustrateur des Fables de La Fontaine. Entre 1729 et 1734, il réalisa des dessins captivants qui accompagnèrent une édition prestigieuse des célèbres fables. Ses œuvres, d’une grande précision, donnent vie aux animaux allégoriques, renforçant la portée morale des textes.
Dans "Le Cerf se voyant dans l'eau", Oudry capte la vanité du cerf admirant ses bois avant sa chute, tandis que dans "Le Loup et l'Agneau", il illustre magnifiquement l’injustice du pouvoir. Par ses traits, Oudry sublime la poésie de La Fontaine et crée une symbiose unique entre art visuel et littérature.
Fontainebleau : Un Écrin de Pouvoir et d’Histoire
Le cadre exceptionnel du Château de Fontainebleau, avec ses 1300 pièces et ses jardins à perte de vue, offre un lieu idéal pour cette plongée dans l’univers des chasses royales. À quelques kilomètres de Paris, ce lieu, riche d’histoire et de majesté, accueillit tous les souverains français depuis François Ier. Son architecture et ses collections d’art reflètent l’évolution des styles et des pouvoirs à travers les siècles, de la galerie François Ier à l’appartement des Chasses. Il est un véritable témoin du dialogue entre art, politique et nature.
En somme, l’exposition "Oudry, peintre de courre" ne se contente pas de présenter des œuvres d’art ; elle invite à une réflexion profonde sur le pouvoir, la tradition et la relation complexe entre l’homme et la nature. Fontainebleau, de son côté, continue de jouer son rôle de gardien d’un héritage vivant, où l’histoire, l’art et la philosophie se rencontrent pour nourrir notre regard contemporain.
Infos pratiques :
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Exposition : "Oudry, peintre de courre : Les chasses royales de Louis XV"
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Lieu : Château de Fontainebleau, 77300 Fontainebleau
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Date : Jusqu'au 27 janvier 2025
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Horaires : Tous les jours sauf le mardi, de 9h30 à 17h00
Informations et réservations : www.chateaudefontainebleau.fr
Portrait de Jean-Baptiste Oudry,
Jean-Baptiste Perronneau, 1747-1753, Paris, Musée du Louvre
La Meute de chiens courants allant au
rendez-vous au carrefour de l'Embrassade, forêt de Compiègne, Jean-Baptiste Oudry, 1743, Fontainebleau, Musée du château
Tête de cerf pris par le Roi dans la forêt de Fontainebleau, Jean-Baptiste Oudry 1750, Paris, Musée du Louvre
Le Garde-chasse La Forêt avec Lize et Fine-Lize,
Jean-Baptiste Oudry, 1732,
Compiègne, Musée national du château
Tenture des Chasses royales. Le Cerf qui tient aux chiens dans les rochers de Franchard, forêt de Fontainebleau, 1745-1747,
d'après Jean-Baptiste Oudry
Manufacture royale de tapisseries des Gobelins
Le Cerf qui tient aux chiens dans les rochers de Franchard, forêt de Fontainebleau,
Jean-Baptiste Oudry 1738, Fontainebleau, Musée national du château
Le Rendez-vous au carrefour du Puits du Roi, forêt de Compiègne,
Jean-Baptiste Oudry, 1735,
Fontainebleau, Musée national du château
La Mort du Cerf forcé par la meute aux étangs de Saint-Jean-aux Bois, forêt de Compiègne, Jean-Baptiste Oudry, 1736,
Fontainebleau, Musée national du château
Jean de la Fontaine. Fables choisies mises en vers par J. de La Fontaine.
Tome premier © GrandPalaisRmn Sylvie Chan-Llat.jpg
Barthélémy Toguo
à la BnF
Eléonore Bassop
(17.10.2024)
C’est au cœur du prestigieux musée Richelieu de la Bibliothèque nationale de France (BnF) que Barthélémy Toguo déploie son œuvre, un univers à la fois profond et lumineux. L’exposition « Le Monde pour Horizon » met en scène une installation monumentale qui fait dialoguer mémoire, migration et mondialisation. Ce voyage entre passé et présent, entre civilisations disparues et avenir incertain, trouve ici un cadre grandiose, mêlant art contemporain et trésors historiques.
Un Lieu Chargé d’Histoire
Avant d’explorer l’univers singulier de Toguo, un regard sur ce lieu emblématique s’impose. Le site Richelieu de la BnF, réouvert en 2022 après des travaux colossaux, respire l’histoire. Ancienne imprimerie royale, il est aujourd’hui un temple de la culture mondiale, abritant des millions d’ouvrages et des collections aussi variées que précieuses. Ce cadre solennel, chargé d’histoires monarchiques et républicaines, se prête à merveille au dialogue qu’ouvre Toguo avec les récits du monde, tant ceux oubliés que ceux en construction.
« L’histoire est une longue patience », écrivait Mongo Beti. Toguo, à travers son installation, semble répondre à cette assertion, en tirant les fils de cette patience pour recomposer une toile où le passé éclaire l’avenir.
Un Voyage entre Mémoires et Mondialisation
Au début de l’exposition, A Book is My Hope nous accueille tel un manifeste : le livre comme refuge, comme cri et comme espoir. Barthélémy Toguo y rassemble des voix puissantes, de Martin Luther King à Mongo Beti, en passant par Frantz Fanon et Cheikh Anta Diop. Il questionne la transmission de l’histoire : qui en est le scribe ? Pour qui et pourquoi cette histoire est-elle écrite ? La BnF, gardienne d’une tradition occidentale longtemps unilatérale, se prête ici à une révision salutaire de son propre rôle dans cette dynamique de transmission.
Dans ce lieu consacré à la connaissance, Toguo déploie une réflexion universelle sur la mémoire collective. En rendant hommage aux manuscrits de Tombouctou, par exemple, il rappelle qu’une autre histoire existe, celle d’une Afrique lettrée et éclatante, souvent occultée par les archives coloniales.
Un Dialogue entre Civilisations et Mythes
Dans la salle des Colonnes, les collections d’antiquités gréco-romaines côtoient les Grands Bardes de Toguo, ces figures protectrices de couleurs vives. Ces gardiens contemporains se dressent aux côtés des vases antiques et des monnaies héroïques, créant un pont audacieux entre les mythologies d’hier et les récits d’aujourd’hui. Cette juxtaposition surprenante interroge les notions d’héritage et de continuité.
Dans la somptueuse salle Barthélémy, l’œuvre Leaders : visions et responsabilités réunit des médailles frappées des visages d’Amilcar Cabral, Malcolm X, Thomas Sankara et bien d’autres leaders panafricains. Ces figures, côtoyant les dieux grecs comme Dionysos et Hercule, tissent un parallèle entre les mythes fondateurs des civilisations antiques et les héros contemporains de la lutte pour l’émancipation des peuples.
Des Œuvres au Service de la Mémoire Collective
Dans la galerie Mazarin, l’œuvre Bilongue rend hommage aux habitants d’un quartier populaire de Douala, au Cameroun. Avec un bas-relief en bois et une série de dessins mêlant aquarelle et photographies d’époque coloniale, Toguo plonge dans les réalités sociales et historiques de son pays natal, tout en les liant à un contexte plus large, celui d’une Afrique en mouvement. « Ce que nous pouvons faire, c’est empêcher que l’histoire se répète », écrivait Chimamanda Ngozi Adichie. À travers ces portraits anonymes, Toguo semble nous inviter à un devoir de mémoire, pour éviter que les erreurs du passé ne se rejouent.
Un Art pour Aujourd’hui et Demain
L’œuvre de Barthélémy Toguo à la BnF ne se limite pas à une simple exposition artistique ; elle s’inscrit dans une réflexion plus large sur notre rapport à l’histoire, à la mondialisation, et à la mémoire collective. Comment intégrer les récits des peuples oubliés dans un récit commun ? Comment réconcilier les blessures du passé avec les rêves d’un avenir partagé ?
Dans ce musée où résonnent les échos de siècles de monarchie et de révolutions, Toguo installe une force vive, une invitation à réfléchir ensemble sur le monde de demain. Loin d’être figée, son œuvre évolue avec le temps, prête à bouleverser les récits établis pour offrir de nouvelles perspectives.
Infos pratiques :
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Exposition : "Le Monde pour horizon"
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Lieu : Bibliothèque nationale de France - site Richelieu
A Book Is My Hope, Hommage aux manuscrits de Tombouctou,
Barthélémy Toguo, 2018
Fragile Body n°2, Barthélémy Toguo, 2017
Bardes, Barthélémy Toguo, 2024
Offrandes, Barthélémy Toguo, 2024
Bardes, Barthélémy Toguo, 2024
Balade Aquatique III et X, Barthélémy Toguo, 2022, parmi une collection de céramiques antiques
Bilongue, (dessin), Barthélémy Toguo, 2020
Bilongue, (dessin), Barthélémy Toguo, 2020
Heimaten Festival
2024-2027 :
Un chant de la pluralité
Eléonore Bassop
(30.09.2024)
Ah, la culpabilité. Ce fardeau mal assumé, cette sensation tenace dont il est difficile de se défaire. Au Festival Heimaten 2024-2027, elle se transforme en exploration existentielle, un voyage introspectif à travers l’histoire complexe de l'Allemagne, terre d’accueil pour immigrés et minorités cherchant leur place dans une société structurée par ses drames. L'exposition Forgive Us Our Trespasses (Pardonnez-nous nos offenses), projet phare de ce festival, nous invite à réfléchir sur ces péchés d’hier et leur persistance aujourd'hui.
Pardonnez-nous nos offenses : Un Choc Salutaire
L'exposition Forgive Us Our Trespasses, visible jusqu'au 8 décembre 2024, refuse toute forme de compromis. Loin de chercher la contrition, elle questionne l'idée même de s'excuser pour nos différences. Queer, migrant, croyant ou non-croyant, chaque identité est célébrée sans réserve. Les œuvres présentées offrent une réflexion poétique et politique sur les frontières entre moralité et immoralité, entre transgression et normalité, entre le juste et l'injuste.
Artistes en lumière
Quelques figures marquantes de cette exposition qui compte plus de 50 artistes.
Isaac Chong Wai (Hong Kong) convertit le passé en une expérience vivante. Avec des œuvres comme One Sound of Histories, il invite le public à partager des récits personnels dans des lieux marqués par le traumatisme, tels que la Weimarplatz, autrefois siège du Gauforum nazi. Il fait ressurgir les mémoires enfouies pour les réinventer, créant ainsi des espaces où passé et présent entrent en dialogue continu.
Surya Suran Gied (Allemagne) évoque la saga de la diaspora asiatique dans sa série Godori Stop Ghost (2022-2024). Inspirée par les récits de sa famille marqués par la guerre de Corée, elle explore le jeu de cartes godori, joué par sa mère en Allemagne et sa grand-mère en Corée du Sud, créant un lien entre son héritage asiatique et la société allemande. Ses œuvres, véritables ponts entre cultures et générations, rendent hommage à une communauté souvent invisible dans les récits nationaux.
Victor Ehikhamenor (Nigeria) examine le fait colonial et la spiritualité. Dans The Holy King from the Sky (2021), il mêle perles de chapelet, dentelle et une statuette en bronze pour évoquer l’impact des symboles religieux sur l’histoire. The Penance Room (2024), avec son confessionnal et ses mannequins, aborde la culpabilité et la réparation, créant un espace de réflexion sur le syncrétisme religieux et l’héritage colonial.
Explorer l’intime et le collectif
Dorothy Iannone (États-Unis) analyse la sexualité et la liberté à travers des œuvres sensuelles et vibrantes. Installée à Berlin jusqu’à sa disparition en 2022, elle traite de l'érotisme féminin et des relations humaines avec des couleurs éclatantes et des formes libres. Des œuvres comme Flora and Fauna (1973) mêlent amour, désir et spiritualité, défiant les conventions sociales pour célébrer l’intime comme espace de liberté.
I Gusti Ayu Kadek Murniasih (Bali), dite Murni, a bouleversé la scène artistique balinaise avec ses représentations audacieuses de la sexualité féminine, puisant dans son vécu pour aborder les luttes et les épreuves personnelles. Son œuvre Aman Tapan Kuatir (2004) mêle traditions balinaises et récits intimes, défiant les normes patriarcales et exprimant la complexité de la condition féminine.
Histoire, mémoire et transformation
Hikaru Fujii (Japon) explore les traumatismes japonais à travers des vidéos et des ateliers immersifs. Ses œuvres plongent le spectateur dans les cicatrices de l'histoire, où se rencontrent culpabilité et mémoire. Avec War Is Over (2024), il nous invite à réfléchir à la façon dont une société absorbe et digère ses chocs collectifs, tout en cherchant à se réconcilier avec son passé pour avancer vers l’avenir.
Dani Gal (Israël) vogue entre histoire et vérité, entremêlant faits et fiction. Son dernier film, Dark Continent (2023), s'inspire des réflexions de Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs et examine le racisme contemporain issu des imaginaires coloniaux. Gal nous confronte aux échos d’un passé colonial résonnant dans le présent. Son œuvre interroge l'identité et les séquelles transmises.
Sliman Mansour (Palestine), utilise les oliveraies et les orangers dans son travail pour symboliser la terre et la lutte palestinienne. Son œuvre Olive Harvest (1988) est emblématique de son style réaliste. Ses affiches, depuis les années 1970, adoptent un style abstrait, réaliste et parfois surréaliste pour exprimer la culture palestinienne, la résistance, la résilience et l’espoir.
Berlin, la ville des mémoires vivantes
« Berlin est une ville condamnée à devenir éternellement, sans jamais être », écrivait Alfred Döblin.
À Berlin, la mémoire est partout : elle respire dans les rues, dans les noms des places et des monuments. À Wedding, par exemple, des figures telles qu’Emily et Rudolf Douala Manga Bell, couple royal de Douala au Cameroun, ou Cornelius Fredericks, chef des Aman, peuple de Namibie, symbolisent la résistance contre l'impérialisme allemand. Berlin n’est plus seulement la ville de la contre-culture ; elle est désormais le terrain fertile d'une mémoire postcoloniale en pleine éclosion.
Au cœur du Haus der Kulturen der Welt (HKW), ce temple dédié au dialogue mondial, les récits des minorités se mêlent à ceux des anciennes colonies. Son architecture audacieuse, toute en courbes et en mouvements, évoque une fluidité similaire à celle des cultures qui y sont célébrées. Des femmes racisées telles que Myriam Makeba (Afrique du Sud, 1932-2008), Marielle Franco (Brésil, 1979-2018), Fannie Lou Hamer (Etats-Unis, 1917-1977), Paulette Nardal (Martinique, 1896-1985), Safi Faye (Sénégal, 1943-2023), Violetta Parra (Chili, 1917-1967) ainsi que les Mama Benz du Bénin, sont mises à l'honneur en ayant leurs noms attribués à des salles et espaces du centre culturel.
Une mémoire collective aux résonances mondiales
Lors de l’inauguration de Forgive Us Our Trespasses, la lecture du poème Guilt, Desire and Love de James Baldwin, qui célèbre son centenaire cette année, a résonné avec force. Baldwin nous interpelle : la culpabilité, le désir et l’amour forment un trio indissociable, au cœur de notre humanité.
Toutefois, l’exposition Pardonnez-nous nos offenses serait difficilement envisageable en France, car elle pourrait être perçue comme un appel à la repentance, une notion largement rejetée dans le pays. Son titre, qui fait allusion à une prière, ainsi que certaines des œuvres présentées, risqueraient de déclencher de vives controverses dans une France au regard rigide sur la laïcité, qui devient de plus en plus aseptisé et réticente à affronter son passé.
Mais au Festival Heimaten 2024-2027, point de tout cela. On ne se limite pas à explorer les failles de la mémoire pour demander pardon. Au contraire, on les transforme en force créatrice, un levier pour envisager un avenir plus juste et plus inclusif.
Infos pratiques :
L’exposition Forgive Us Our Trespasses Of (Un) Real Frontiers, Of (Im) Moralities, and Other Transcendences (Pardonnez-nous nos offenses - Des Frontières (non) réelles, des (im) moralités et autres transcendances) est à découvrir jusqu'au 8 décembre 2024 au HKW, à Berlin.
HKW, Berlin, 2024
Flora and Fauna,
Dorothy Iannone, 1973
Aman Tapan Kuatir,
I Gusti Ayu Kadek Murniasih, 2004
The Penance Room,
Victor Ehikhamenor, 2024
The Holy King from the Sky,
Victor Ehikhamenor, 2021
Desert Tunes,
Sliman Mansour, 1977
Picking Olives,
Sliman Mansour, 1988
Jerusalem in the Heart, Sliman Mansour, 1979
Olive Picking,
Sliman Mansour, 2021
Serie Godori Stop Ghost,
Surya Suran Gied, 2022-2024
War is Over, Hikaru Fuji, 2024
Photo extraite du court-métrage Dark Continent,
Dani Gal, 2023
Clémence Lollia Hilaire et les racines de l'horreur médicale
Eléonore Bassop
(18.09.2024)
Clémence Lollia Hilaire nous offre avec Harvest une plongée glaçante dans les recoins sombres de l’histoire médicale, là où science et racisme se sont enchevêtrés pour forger des pratiques d’une violence insidieuse. Présentée pour la première fois en France au Frac Lorraine, cette installation vidéo met en scène Anarcha, Betsey et Lucy, trois jeunes femmes afro-américaines qui, au XIXe siècle, furent soumises à des expérimentations gynécologiques sans anesthésie. Ces femmes, dont les souffrances ont été invisibilisées, réapparaissent ici sous la forme de zombies, figures à la fois de la déshumanisation et de la résistance.
En explorant les violences médicales infligées aux femmes noires, Hilaire s’inscrit dans une lignée artistique qui refuse d’oublier les torts du passé. Comme le disait William Faulkner : « Le passé n'est jamais mort, il n'est même pas passé ». Ce passé, Hilaire le ressuscite, et il se traîne devant nous, boitant, mutilé, mais inexorablement vivant.
Quand les Zombies Attendent
Harvest adopte l’esthétique du film d’horreur de série B, avec ses couleurs criardes, ses effets spéciaux kitsch et son ambiance macabre. Mais sous cette surface faussement légère, l’œuvre déploie une critique acerbe des violences raciales et médicales. Anarcha, Betsey et Lucy, ramenées à une sorte de non-vie, errent dans la salle d'attente d'une clinique de fertilité. Ce lieu, où leurs utérus sont utilisés pour cultiver une plante marine mystérieuse, devient le théâtre d'une attente interminable, entrecoupée de flashbacks sur les propres expériences médicales de l'auteure.
La référence au film de zombies n’est pas anodine. Le genre, né d’une interprétation occidentale des croyances haïtiennes, incarne ici la perte du contrôle de soi, la réduction des corps à de simples instruments. Comme le souligne Ta-Nehisi Coates dans Une Colère Noire : «L’histoire des Noirs est celle de l’oppression systématique, une violence qui réduit les corps à l’état de simple matière première». En faisant d’Anarcha, Betsey et Lucy des zombies, Hilaire exprime cette déshumanisation tout en leur offrant une forme de vengeance posthume.
Le Limon de la Mémoire : Entre Ecologie et Identité
Dans Harvest, les corps des jeunes femmes sont non seulement exploités, mais également transformés en incubateurs pour une industrie obscure. Hilaire établi ainsi un lien entre les logiques extractives appliquées aux corps des femmes noires et celles infligées aux ressources naturelles des Caraïbes, dont elle est originaire. Cette analogie se retrouve également dans ses œuvres antérieures, comme son installation sonore sur le chlordécone, ou sa vidéo sur les algues sargasses, conséquence de la pollution et du dérèglement climatique.
Ces thématiques font écho à l’idée du « limon », ce concept développé par Édouard Glissant. Le limon, résidu du fond de l’océan, remonte à la surface pour nourrir la Caraïbe d’une nouvelle dynamique. Dans les sculptures de Hilaire, des objets semblables à des reliques échouées sur les côtes viennent matérialiser cette mémoire engloutie qui resurgit. Ces œuvres, composées de cheveux artificiels, évoquent à la fois l’identité afro et la persistance de ces « fantômes » dans la culture contemporaine.
Harvest et le Refus de l’Oubli
Le travail de Clémence Lollia Hilaire trouve une résonance particulière avec des œuvres comme la sculpture monumentale Mothers of Gynecology de Michelle Browder, qui rend hommage à Anarcha, Betsey et Lucy. Tout comme Browder, Hilaire refuse que ces femmes soient réduites à leur souffrance. Dans Harvest, elles ne sont pas seulement des victimes, mais des figures de résistance, prêtes à se révolter contre leurs bourreaux. Cette rage sourde, cette volonté de reprendre le contrôle, rappelle les réflexions de Toni Morrison dans Beloved, où le passé hante les vivants, les contraignant à affronter les douleurs non résolues.
Entre Fiction et Réalité : Une histoire qui se perpétue
Harvest analyse aussi la frontière floue entre la réalité et la fiction. Les séquences où l’auteure apparaît, cherchant désespérément un diagnostic pour ses douleurs gynécologiques, rappellent que les violences du passé ne sont pas seulement une histoire ancienne. Elles se répercutent sur le présent, sous des formes nouvelles mais tout aussi destructrices.
L'exemple d'Henrietta Lacks, dont les cellules ont été prélevées sans consentement en 1951 pour des recherches lucratives, illustre cruellement cette réalité. Le racisme médical se manifeste encore aujourd'hui par des biais raciaux dans les diagnostics et les traitements. Aux États-Unis, les femmes noires sont trois à quatre fois plus susceptibles de mourir en couches que leurs homologues blanches. En France, le décès de Naomi Musenga en 2017, ignorée par les services d’urgence, a exposé au grand jour un système de santé où les corps noirs demeurent invisibles.
Clémence Lollia Hilaire, en tant que femme noire issue de la diaspora caribéenne, inscrit sa pratique artistique dans une réflexion sur l'identité. Cette identité fluide se manifeste dans la diversité des supports utilisés par Hilaire – vidéos, sculptures, œuvres sonores – qui brouillent les frontières entre les catégories, les genres et les époques. Ses œuvres invitent à repenser les récits dominants, à explorer ces zones liminales où se croisent mémoire collective et expérience personnelle, histoire officielle et fiction.
Le Passé Réanimé
Harvest ne se contente pas de revisiter l’histoire, elle la réanime, la force à s’asseoir parmi nous et à poser ses questions dérangeantes. Comment comprendre la persistance des violences raciales et médicales dans nos sociétés ? Comment l’art peut-il devenir un lieu de résistance et de mémoire ? En parallèle, l'exposition Pause, également présentée au Frac Lorraine, offre une méditation sur la mémoire et la résistance. Ensemble, ces œuvres nous rappellent que le passé, même zombifié, n'est jamais vraiment mort. Il continue de nous hanter, de structurer nos réalités contemporaines, et de nourrir notre quête incessante de justice et de reconnaissance.
L’exposition Degré Est : Clémence Hilaire, se tient jusqu’au 9 février 2025 au FRAC Lorraine à Metz.
Illustration Iris Hatzfeld
Photo extraite de la vidéo Harvest
Clémence Lollia Hilaire
Installation vidéo Harvest
Clémence Lollia Hilaire
Mothers of Gynecology, Michelle Browder
Montgomery, Alabama
Alabama Artist works to correct historical narrative around beginnings of gynecology
Portrait d'Henrietta Lacks, Kadir Nelson
Collection Smithsonian National Portrait Gallery
Focus :
Two Meetings and
a Funeral
de Naeem Mohaiemen
Eléonore Bassop
(17.09.2024)
Parmi les œuvres présentées à l'exposition Pause à Metz, le film Two Meetings and a Funeral de Naeem Mohaiemen se distingue par sa réflexion poignante sur les espoirs déchus du Mouvement des Non-Alignés. Ce documentaire revient sur les événements géopolitiques de 1973, tout en explorant les répercussions contemporaines des luttes inachevées de ce mouvement. C'est une œuvre qui invite à revisiter un passé chargé d’ambitions et de désillusions, éclairant ainsi les conflits d'hier et d'aujourd'hui.
Deux sommets, un enterrement
Le titre du film évoque deux moments-clés de l’histoire : le sommet des Non-Alignés de 1973 à Alger et celui de Dhaka, avorté peu de temps après. Ces événements incarnent les aspirations de nombreuses nations postcoloniales à échapper à l’influence des deux blocs, Est/Ouest. Cependant, ils symbolisent aussi l’effondrement de ces rêves, marqué par la mort mystérieuse de Dag Hammarskjöld en 1961, alors Secrétaire général de l’ONU. Sa disparition a marqué un tournant, symbolisant la fin de la neutralité et de la médiation, tout comme l’idéalisme du Mouvement des Non-Alignés allait bientôt s’évanouir.
1973, un monde en feu
L’année 1973 est marquée par des bouleversements mondiaux d’une ampleur inédite. Au Chili, Salvador Allende, le président élu, voit son rêve de justice sociale fracassé par le coup d’État de Pinochet. L’Afrique, encore sous l'emprise coloniale, lutte pour son indépendance, notamment dans les colonies portugaises et en Namibie. La Palestine demeure le théâtre d’un conflit sanglant, où les grandes puissances s’affrontent indirectement, soutenant des factions opposées et alimentant la violence.
Le choc pétrolier, déclenché par l’OPEP durant la guerre du Kippour, fait vaciller les économies mondiales, provoquant une redéfinition brutale des rapports de force économiques. Dans cette tourmente, le Bangladesh, tout juste né de sa guerre d’indépendance contre le Pakistan en 1971, peine à trouver sa place. Encore fragilisé par la guerre, le pays tente de se définir face à ses grands voisins et à la communauté internationale, entre espoir et incertitude.
C’est dans ce climat instable que le Mouvement des Non-Alignés cherche à s’imposer. Mais ce rêve d’une voie indépendante, ni capitaliste ni communiste, commence déjà à s’effriter. Comme l’a écrit l'historien Odd Arne Westad dans The Global Cold War, ces nations du Sud global, censées être autonomes, deviennent involontairement des terrains de jeu pour les grandes puissances. Leur lutte pour la souveraineté se mêle aux manipulations des blocs qui cherchent à maintenir leur hégémonie.
Les promesses d’Alger… et la désillusion de Dhaka
Le sommet de 1973 à Alger est une rencontre historique, rassemblant plus de 75 pays déterminés à combattre l’impérialisme et à promouvoir la solidarité sud-sud. Fidel Castro, fidèle à son discours révolutionnaire, appelait à l'unité contre l'impérialisme : "Ce n'est qu'unis que nous pourrons vaincre l’impérialisme!" Mouammar Kadhafi, dans un élan de nationalisme arabe, affirmait que "L'indépendance n'est pas un cadeau, mais une conquête." Yasser Arafat, quant à lui, soulignait l'urgence de libérer la Palestine : "Nous ne serons jamais libres tant que la Palestine ne sera pas libérée." Houari Boumédiène, président de l'Algérie, prônait l’unité africaine : "La véritable indépendance passe par l’unité et la solidarité entre nos peuples." Indira Gandhi, de son côté, exhortait à la construction d'une voie indépendante des grandes puissances : "Nous devons construire notre propre voie, indépendante des grandes puissances." Kenneth Kaunda, président de la Zambie, tentait de calmer les ardeurs, prônant la coopération plutôt que la violence.
Mais malgré ces déclarations enflammées, la réalité est tout autre. Les rivalités internes, les intérêts nationaux divergents, et les ingérences des grandes puissances minent rapidement ces ambitions. L’annulation du sommet de Dhaka est le reflet des divisions grandissantes au sein du mouvement. Les assassinats de Sheikh Mujibur Rahman au Bangladesh en 1975 et de Zulfikar Ali Bhutto au Pakistan en 1979, achèvent de désintégrer les derniers vestiges d’unité.
L’annulation de Dhaka révèle aussi l’influence insidieuse de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), dont l'agenda semble avoir été de saboter le Mouvement des Non-Alignés. Ce conflit latent entre idéaux laïques et aspirations religieuses de certains États musulmans souligne les failles profondes qui divisent encore aujourd’hui les alliances internationales.
La Coupole : un bâtiment témoin d’une utopie déchue
Dans Two Meetings and a Funeral, Mohaiemen ne se contente pas d’examiner les événements politiques ; il s’intéresse aussi à l’architecture qui les a abrités. La Coupole, conçue par Oscar Niemeyer pour accueillir les délégués à Alger, est une construction colossale. Monument de béton courbé et imposant, elle symbolisait l’ambition démesurée des Non-Alignés.
Mais, comme le souligne l’historien Vijay Prashad, ce bâtiment reflétait davantage un rêve d'architecture monumentale qu'une réflexion sur les luttes des peuples. Construit dans un pays encore pauvre, son coût exorbitant tranchait avec les réalités économiques de l'Algérie postcoloniale. « Ce bâtiment incarnait les contradictions du mouvement », explique Prashad. Il prétendait porter des idéaux révolutionnaires, mais son gigantisme et son caractère impraticable témoignaient d'une déconnexion profonde avec les enjeux réels des peuples qu’il était censé servir. En cela, il rejoint une longue tradition de constructions architecturales servant de propagande politique, où la forme prend le pas sur le fond.
La Coupole, désormais dépouillée de sa symbolique politique, est devenue une salle polyvalente accueillant toutes sortes de spectacles. Ce lieu, autrefois conçu comme le centre névralgique d'une utopie politique, est aujourd'hui le symbole d’un échec qui fait écho à l’effondrement des espoirs portés par le Mouvement des Non-Alignés.
Mémoire des luttes
Two Meetings and a Funeral de Naeem Mohaiemen rappelle que les idéaux de solidarité internationale, bien qu’affaiblis par les réalités politiques, demeurent d’une importance cruciale.
Les luttes inachevées des années 1970 continuent de résonner aujourd'hui, dans un monde où les inégalités persistent, et où les puissances mondiales se disputent encore l'influence.
L'exposition Pause, où est projeté le film, nous invite à prendre un moment de recul pour méditer et comprendre les échecs du passé pour envisager les résistances de demain.
Infos pratiques :
Two Meetings and a Funeral est à voir dans le cadre de l'exposition Pause au FRAC Lorraine à Metz, jusqu’au 9 février 2025.
Pause :
L’art en résistance
Eléonore Bassop
(17.09.2024)
Dans un monde où le tumulte politique et la montée des discours de haine semblent étouffer l'espoir, l'exposition Pause au Frac Lorraine à Metz offre un souffle nécessaire. Sous la direction de Fanny Gonella, cette exposition collective devient un espace de résistance silencieuse, né de discussions avec des artistes palestiniennes. Pause nous invite à ralentir, à contempler, et à interroger notre relation complexe aux images qui façonnent nos perceptions. Chaque œuvre y est une invitation à repenser notre rapport au monde, aux médias, à l’histoire, dans une époque où tout semble s'accélérer.
Banele Khoza : Un jardin secret de l'âme
Banele Khoza cultive un univers pictural où chaque fleur est une pensée, chaque couleur une émotion. À l’image des jardins symboliques de William Blake, où chaque plante porte une signification profonde, les toiles de Khoza sont des paysages intérieurs, des reflets de l’âme. Dans My Mother's Favourite Chair, la fleur fanée devient une métaphore du temps qui passe, tout en nous plongeant dans les méandres de la mémoire. Comme Blake, qui voyait dans les fleurs des êtres vivants imprégnés de secrets et de mystères, Khoza nous invite à une lecture symbolique de ses œuvres. Ses couleurs, vibrantes et presque hallucinatoires, évoquent des visions oniriques, où les formes se mêlent aux couleurs pour créer un univers à la fois familier et étrangement mystérieux.
Nidhal Chamekh : Un chant pour Carthage
Nidhal Chamekh, en reprenant à son compte une interrogation d'Édouard Glissant : et si Carthage avait survécu ? L’artiste tunisien se réapproprie l’histoire en imaginant des futurs alternatifs. Dans son œuvre Et si Carthage ?, il crée un dialogue entre l’Antiquité et le contemporain, mélangeant les iconographies puniques avec des références actuelles. L’influence de Glissant, notamment sa notion de "monde relationnel", se ressent dans l’approche de Chamekh. Selon Glissant, les cultures sont des réseaux d’interactions complexes plutôt que des entités isolées. Chamekh applique cette vision à Carthage, qu’il envisage comme un carrefour de civilisations, un lieu de métissages. En réinventant l’histoire de Carthage, il participe à un mouvement plus vaste de décolonisation des imaginaires, nous invitant à déconstruire les récits dominants souvent eurocentriques, pour redécouvrir la richesse des cultures africaines et méditerranéennes.
Peter Piller : le philosophe du trou
L’artiste allemand Peter Piller invite le spectateur à une réflexion intrigante : qu'est-ce qu'un trou ? Imaginez une série de photos où des personnes, au visage grave, scrutent attentivement des trous – bouche d’égout, fosse de chantier ou puits sans fond. Intitulée In Löcher blicken (Regarder dans les trous), cette série compile ces moments de contemplation collective avec une touche d’humour subtil et un regard affûté pour le banal.
En jouant sur le paradoxe de Magritte avec Ceci n’est pas une pipe, Piller ne se contente pas de présenter des trous, mais nous invite à voir au-delà des évidences. Ces images, d'apparence anodine, deviennent des fenêtres sur l’inconnu, nous incitant à explorer ce que notre esprit cherche à comprendre face à l’invisible. En questionnant notre tendance à chercher du sens dans le vide apparent, Piller nous offre une occasion de méditer sur la complexité de notre perception.
Rehaf Al Batniji : un regard intime sur Gaza
Rehaf Al Batniji s’inscrit dans la lignée de la photographie documentaire tout en apportant une vision résolument contemporaine. À l'instar de Dorothea Lange, qui a su capturer la souffrance des Américains pendant la Grande Dépression, Batniji porte son objectif sur les habitants de Gaza, saisissant leur quotidien avec une profonde humanité. Sa série Gaza Timezone transcende le simple reportage pour offrir un portrait poétique et résilient de cette population. Loin de tout voyeurisme, ses photographies rendent hommage à la dignité humaine dans les moments les plus difficiles. Elles constituent une contre-narrative aux images médiatiques souvent stéréotypées du conflit israélo-palestinien, et se révèlent être un témoignage visuel précieux pour les générations futures, à l’image de Lange qui avait su immortaliser les visages de son temps.
Oraib Toukan : les cicatrices de la terre
Oraib Toukan explore la représentation de la violence et de la mémoire collective à travers don œuvre Offing, où elle juxtapose des scènes quotidiennes avec le récit de Salman Nawati, un artiste de Gaza. En opposant des moments de douceur à l'horreur de la guerre, elle interroge notre capacité à percevoir la douleur à distance, une réflexion proche de celle de Susan Sontag dans Regarding the Pain of Others.
Quant à sa série Things Bigger Than What Can Be Seen, elle capture le paysage palestinien comme mémoire collective. À travers ces images, Toukan montre comment la terre et les souvenirs se mélangent, évoquant les pensées de Gaston Bachelard dans La Poétique de l’espace. Son œuvre, en utilisant la photographie et le film, nous pousse à reconsidérer la manière dont nous représentons et comprenons la violence, et comment ces représentations influencent notre empathie et notre conscience.
Sven Augustijnen : le fusil et l'image
Sven Augustijnen nous plonge dans l’univers du FN FAL, ce fusil automatique belge devenu le « bras droit du monde libre » durant la guerre froide. L’installation d’Augustijnen explore avec finesse la place de cet arme dans les pages de Paris Match des années 60. Ce fusil, omniprésent dans les conflits du XXe siècle, se trouve au cœur d'une réflexion sur l'iconographie de la violence. L’artiste belge déploie une critique mordante sur la façon dont les médias transforment l'actualité en histoire et les objets en symboles.
Augustijnen dévoile ainsi les mécanismes de manipulation qui sous-tendent la construction de nos représentations. À travers les pages de Paris Match, il nous rappelle que les images ne sont pas neutres, qu'elles sont construites pour façonner l'opinion publique et légitimer des guerres injustes. En nous confrontant à cette réalité, l'artiste nous incite à une réflexion critique sur le rôle des médias dans la fabrication de nos mythes et de nos héros.
Naeem Mohaiemen : les rêves brisés du tiers-monde
À lire l’article : Focus : Two Meetings and a Funeral de Naeem Mohaiemen.
Pause : une respiration nécessaire
L’exposition Pause offre un instant de répit face à l'agitation politique. Elle souligne le rôle de l'art comme refuge, un espace où la résistance passe par l'observation et la réflexion. Chaque œuvre évoque des fragments de mémoire à préserver. L’exposition, plus qu’un simple regroupement d’œuvres, est un espace de dialogue et de rencontre, où l’art devient un vecteur de médiation, d’émotion et d’émancipation. Ce moment suspendu pousse à interroger notre capacité à véritablement percevoir et entendre le message des images. Alors, dans ce tourbillon incessant, l'art peut-il encore être une forme de réconciliation ?
Infos pratiques :
L’exposition Pause est à voir au FRAC Lorraine à Metz, jusqu’au
9 février 2025.
Untitled, Banele Khoza
My Mother Favorite Banele Khoza
Et Si Carthage ? Nidhal Chamekh
Et Si Carthage ? Nidhal Chamekh
Série de photographies In Löcher blicken, Peter Piller
Série de photographies In Löcher blicken, Peter Piller
Rehaf Al Batniji posant devant ses photographies
Série Gaza Timezone
Série Gaza Timezone, Rehaf Al Batniji
L'histoire est simple et édifiante. Une sélection d'articles parus dans Paris Match première partie, 1960-1974, 2014, Sven Augustijnen
L'histoire est simple et édifiante. Une sélection d'articles parus dans Paris Match première partie, 1960-1974, 2014, Sven Augustijnen
L'histoire est simple et édifiante. Une sélection d'articles parus dans Paris Match première partie, 1960-1974, 2014, Sven Augustijnen
L'histoire est simple et édifiante. Une sélection d'articles parus dans Paris Match première partie, 1960-1974, 2014, Sven Augustijnen
"Noli"
Le plaisir des jeux en Corée
Eléonore Bassop
(02.09.2024)
Alors que Paris accueille les Jeux Olympiques et Paralympiques, le Centre Culturel Coréen nous propose un voyage ludique et (ré)créatif au cœur de la Corée, où le jeu est une véritable institution. À travers les œuvres de peintres comme Sin Yunbok et Kisan, l'exposition « Noli : jeux coréens » nous dévoile les plaisirs simples et les divertissements raffinés qui ont ponctué la vie des Coréens depuis des siècles. Partons à la découverte de l’univers de ces deux artistes majeurs de l’histoire de la peinture coréenne, qui ont brillamment illustré cet art de vivre unique.
Sin Yunbok : le peintre de l'intimité
Sin Yunbok, ou Hyewon, figure parmi les plus grands maîtres de la peinture de genre de la période Joseon en Corée. Né vers 1758 au sein d'une famille aristocratique, il a hérité d'un talent artistique qu'il a patiemment cultivé. Son œuvre, riche et variée, témoigne d'une sensibilité aiguë et d'un regard acéré sur la société de son temps.
Un chroniqueur de la vie quotidienne
À travers ses peintures, souvent réunies dans l'Album de Hyewon, Sin Yunbok offre un aperçu intime de la vie des courtisanes, des aristocrates et des simples citoyens de Séoul. Ses compositions, d'une grande finesse, révèlent une maîtrise parfaite des techniques picturales. Il excelle dans la représentation des figures humaines, capturant avec justesse les expressions, les attitudes et les émotions de ses modèles. Les scènes qu'il dépeint sont souvent empreintes d'une sensualité subtile, voire d'un érotisme assumé, ce qui le distingue de ses contemporains.
Un style unique
Le style de Sin Yunbok se caractérise par une palette de couleurs vives et par un trait délicat. Il utilise fréquemment des techniques mixtes, combinant l'encre et l'aquarelle. Ses compositions sont souvent très denses, mais l'artiste parvient à créer une impression de légèreté et de fluidité. Son goût pour le détail est remarquable, et il ne néglige aucun élément du décor, qu'il s'agisse des vêtements, des objets ou des paysages.
Un héritage inestimable
L'Album de Hyewon est considéré comme un trésor national en Corée. Il constitue un document précieux pour l'étude de la vie quotidienne à la fin de la période Joseon. Grâce à Sin Yunbok, nous pouvons aujourd'hui revivre les plaisirs, les peines et les espoirs des Coréens du XVIIIe siècle. Son œuvre a exercé une influence considérable sur les générations suivantes de peintres coréens, et il est considéré comme l'un des grands maîtres de l'histoire de l'art coréen.
Kim Jun-geun (Kisan) : le gardien des traditions
Kim Jun-geun, plus connu sous son pseudonyme artistique Kisan, est une figure marquante de la peinture coréenne de la fin du XIXe siècle. Vivant à une époque de profondes mutations, marquées par l'ouverture de la Corée au monde extérieur et l'industrialisation naissante, Kisan a choisi de se tourner vers le passé, célébrant dans ses œuvres les traditions et les coutumes d'une Corée qui disparaissait progressivement.
Un gardien de la mémoire
À travers ses peintures, souvent réalisées à l'encre et en couleurs, Kisan nous offre un précieux témoignage de la vie quotidienne des Coréens à la fin de la dynastie Joseon. Ses compositions, généralement de petite taille, représentent des scènes de genre variées : danses traditionnelles, jeux d'enfants, activités artisanales, paysages bucoliques... Ces tableaux, empreints d'une grande poésie, nous transportent dans un monde où le temps semble s'être arrêté.
Un artiste à contre-courant
Alors que la Corée se modernisait à grands pas, Kisan a choisi de résister à cette évolution. Plutôt que de représenter les nouvelles technologies et les modes de vie occidentaux, il a préféré s'attacher à préserver l'âme de la Corée traditionnelle. Ses œuvres, réalisées à une époque où les peintres occidentaux étaient de plus en plus sollicités pour représenter les pays exotiques, répondaient à une demande de "souvenirs" authentiques.
Un artiste méconnu
Malgré l'importance de son œuvre, on sait peu de choses sur la vie personnelle de Kisan. On sait cependant qu'il était actif dans les ports de Busan et de Wonsan, des lieux de passage privilégiés pour les étrangers. C'est là qu'il a vendu ses peintures à des marchands, des diplomates et des collectionneurs occidentaux. Ses œuvres sont aujourd'hui dispersées dans de nombreux musées et collections privées à travers le monde.
Une œuvre au service de l'identité coréenne
L'œuvre de Kisan est bien plus qu'une simple représentation de la vie quotidienne. C'est un véritable hymne à la Corée traditionnelle. En choisissant de peindre les scènes de la vie rurale et les coutumes ancestrales, Kisan a contribué à forger une identité nationale coréenne à un moment où le pays était confronté à de nombreux défis.
Le Bangpaeyeon : un cerf-volant chargé d'histoire
Mais l'exposition "Noli" ne se limite pas à la peinture. Elle vous invite également à découvrir l'un des symboles les plus emblématiques de la culture coréenne : le Bangpaeyeon, le cerf-volant traditionnel. Ce rectangle de papier tendu sur une armature de bambou, percé d'un trou central pour mieux capter le vent, est bien plus qu'un simple jouet.
Le Bangpaeyeon est chargé d'histoire. Utilisé à l'origine à des fins militaires, il est devenu au fil des siècles un objet de loisir et un symbole de la culture coréenne. Chaque année, lors de la fête de Jungwoldaeboreum, les Coréens lancent leurs cerfs-volants dans le ciel, chargés de vœux et d'espoirs.
Rhee Kitai : un artisan d'exception au service du patrimoine
Parmi les artisans qui perpétuent la tradition du Bangpaeyeon, Rhee Kitai occupe une place à part. Ce maître-artisan, issu d'une longue lignée de fabricants de cerfs-volants, a consacré sa vie à préserver ce savoir-faire ancestral. Son atelier, l'un des derniers en son genre, est un véritable sanctuaire où le temps semble s'être arrêté.
En 2023, le projet "Bottega for Bottegas" de Bottega Veneta a reconnu l'exceptionnel savoir-faire de Rhee Kitai, mettant ainsi en lumière l'importance de préserver les métiers d'art traditionnels.
Une exposition interactive
« Noli : jeux coréens » ne se contente pas de présenter des œuvres d'art. Elle propose également de participer à des ateliers créatifs, de découvrir des jeux traditionnels et de vous immerger dans l'univers du e-sport, qui a fait de la Corée du Sud une véritable puissance mondiale du jeu vidéo.
C’est une exposition à ne pas manquer pour tous ceux qui s'intéressent à l'art, à la culture coréenne ou simplement à l'histoire des jeux.
Infos pratiques :
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Où ? Centre culturel coréen, 20 rue La Boétie, 75008 Paris
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Quand ? Jusqu'au 5 octobre 2024
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Entrée libre
Le jour du Dano, Sin Yunbok
Musée d'art Kansong
Une sortie entre jeunes, Sin Yunbok
Musée d'art Kansong
Une beuverie, Sin Yunbok
Musée d'art Kansong
Amants au clair de lune, Sin Yunbok
Musée d'art Kansong
Croisière festive, Sin Yunbok
Musée d'art Kansong
La danse de l'épée, Sin Yunbok
Musée d'art Kansong
Scènes de genre, Kisan
Paris, musée Guimet - musée national des Arts asiatiques
Bangpaeyeon de Bokkaebi
Choi Sangsook
Floraison de pivoine sur une peau d'emballage
peint en peinture chinoise
Rhee Sooyoung
Dessin de peau de tigre
Kim Jome
La Biennale Internationale
d'art contemporain
d'Anglet
Eléonore Bassop
(29.07.2024)
Anglet, joyau côtier du Pays Basque, accueille du 6 juillet au 19 octobre 2024, la 9e édition de sa Biennale d’art contemporain. Sous la direction artistique de Didier Arnaudet, cet événement métamorphose cette ville nichée entre Biarritz et Bayonne en un vaste terrain d’expression artistique, fusionnant paysages naturels époustouflants et scène artistique innovante. Suivez le guide !
Une Galerie Pompidou Réinventée
En 2023, la salle d’exposition Georges-Pompidou a dévoilé sa nouvelle identité architecturale grâce à une rénovation ambitieuse. L’édifice offre désormais un espace lumineux et polyvalent, permettant aux visiteurs d'explorer l'art dans toute sa complexité et sa richesse, tout en soulignant l'interconnexion entre les diverses pratiques artistiques.
L’exposition "Hiru" enrichit cette expérience en mettant en scène un dialogue visuel et sensoriel entre les créations de Io Burgard, Mathilde Denize et Chloé Royer. Leurs œuvres, allant de la peinture à la sculpture en passant par la vidéo, interagissent pour offrir une expérience artistique immersive et multidimensionnelle.
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Io Burgard : Entre Science-Fiction et Réalisme
Io Burgard, diplômée de l’École des Beaux-Arts de Paris et de l’École des Arts Décoratifs de Strasbourg, présente des sculptures intrigantes semblant tout droit sorties d’un film de science-fiction. Utilisant des matériaux tels que le sable, le plâtre et le verre, Burgard crée des formes étranges qui évoquent des êtres d’autres mondes, oscillant entre l’humain et l’animal, invitant ainsi les visiteurs à une rencontre singulière avec l’inconnu. Ses sculptures sont exposées dans des lieux prestigieux comme le Palais de Tokyo, ainsi qu'à Tokyo, Séoul et Leipzig.
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Mathilde Denize : Assemblages et Métaphores
Mathilde Denize, dont le travail intègre peinture, sculpture, performance et vidéo, explore des formes hybrides à travers des assemblages de pièces cousus. Ses créations sont des montages de figures oubliées et de signes fragmentés, offrant une réflexion sur la mémoire et l'identité. Denize a exposé ses œuvres à la galerie Perrotin et au Centre Pompidou, son travail a également été présenté dans des institutions telles que la Fondation Ricard et le Musée des Beaux-Arts de Dole.
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Chloé Royer : Dualité et Nature
Chloé Royer, diplômée de l’École des Beaux-Arts de Paris, ayant étudié à la School of the Art Institute de Chicago, présente des sculptures en bois, métal et céramique explorant la représentation des plantes et des animaux marins. Ses œuvres mettent en lumière la dualité entre vulnérabilité et danger, avec des formes gracieuses mais troublantes. Certaines sculptures prennent la forme d’animaux-hameçons imposants, tandis que d’autres, plus petites, évoquent des griffes ou des anémones de mer et des plantes carnivores. Royer a été reconnue pour son travail avec le prix FahrArt en 2021 et a exposé ses œuvres à la Fondation Lafayette Anticipations, sur le parvis de la Villette et à Paris + avec gb agency.
Bien que l’exposition « Hiru » puisse sembler déconcertante, elle demeure une exploration intéressante de l’art contemporain, et une rencontre inédite avec des artistes reconnues.
La Villa Beatrix Enea : La Probité de l’Image
Ce centre d’art contemporain, situé dans une villa au style néo-gothique et à l'architecture de la Belle Époque, accueille l’exposition "Probité de l'image" centrée sur l'œuvre de Jean Frémon, auteur prolifique et Président Directeur Général de la Galerie Lelong & Co.
Cette exposition met en avant les œuvres de sept artistes avec lesquels Jean Frémon entretenait des relations artistiques et personnelles étroites. Le commissaire de la Biennale, Didier Arnaudet s'est servi de l’ouvrage éponyme de Jean Frémon comme fil conducteur pour établir un dialogue entre les œuvres des artistes et les écrits du marchand d’art. Cet essai aborde les thèmes et les inspirations qui ont façonné la carrière de Frémon et son influence sur le monde de l'art.
Les artistes présentés :
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Etel Adnan (1925 – 2021), poétesse et plasticienne, dont les peintures vibrantes et géométriques capturent la beauté du monde à travers des aplats de couleurs et des formes simples.
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Jannis Kounellis (1936 – 2017), peintre grec, figure de proue de l'Arte Povera, mouvement artistique italien, connu pour ses œuvres utilisant des matériaux simples comme le fer, le coton et le charbon.
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Jaume Plensa (né en 1955), le peintre espagnol, célèbre pour ses sculptures de silhouettes et de visages humains, analysant la condition humaine par le langage et les mots.
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Sean Scully (né en 1945), et ses peintures abstraites monumentales alliant influences américaines (Rothko) et européennes (Matisse).
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Kiki Smith (née en 1954), qui utilise une variété de techniques pour explorer le corps humain, en particulier le corps féminin, avec une approche mêlant animalité, mythes et cosmogonie.
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Antoni Tàpies (1923 – 2012), l’artiste catalan connu pour son utilisation avant-gardiste des matériaux et des techniques, conjuguant tradition et innovation.
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Richard Tuttle (né en 1941), dont les œuvres expérimentales mêlent peinture, sculpture et installation avec une grande liberté créative.
L’exposition "Probité de l'image" ne se limite pas à une simple présentation d’œuvres ; elle transcende les frontières entre l'art et la littérature, et questionne la nature humaine. Les visiteurs sont invités à découvrir des créations plastiques et des oeuvres littéraires qui se répondent et s'enrichissent mutuellement, offrant une immersion profonde dans l’univers artistique de Frémon et de ses contemporains.
Hors les murs : "L'Ici et l'Ailleurs" à La Barre et Izadia
L'exposition "L'Ici et l'Ailleurs", installée à La Barre et dans le parc écologique Izadia, propose une interaction stimulante entre art et nature.
À La Barre, l’œuvre de Kevin Rouillard, "Horizon : 1 000 blocs, 6 couleurs", composée de bidons métalliques compressés, invite à la déambulation le long de l’embouchure de l’Adour. Cette installation interroge notre rapport aux matériaux industriels et leur recyclage, transformant des déchets en une sculpture architecturale et maritime.
Au parc écologique Izadia, Jennifer Caubet présente "Agora", une invitation à la méditation avec des drapeaux et des bancs. Les drapeaux, accrochés à des mâts métalliques, portent des motifs circulaires entrecroisés, évoquant des zones d’influence et de négociation. Les bancs incitent à la contemplation et à l’échange, faisant de cette installation un espace poétique.
MBL Architectes y dévoilent "Le Crib", une structure de métal, faisant face à l’oeuvre de Flora Moscovici, "Les Chemins du couchant". Les allées de peinture à la chaux, subliment le sol du parc en une œuvre d’art éphémère, rappelant la magie des chemins de contes de fées. Au centre de ce lacis de chemins aux couleurs chatoyantes et changeantes se trouve "Le bouquet" de Mathieu Mercier, une œuvre réalisée pour la Biennale de 2013, consistant en une composition de luminaires sous forme de bouquet de fleurs géant.
Mais aussi...
Le long de la promenade littorale, des installations artistiques jalonnent le parcours, incitant à une exploration ludique et contemplative. Parmi ces œuvres, la "Love Tower" de Tadashi Kawamata, installée pour la Biennale de 2018, surplombe la Chambre d'Amour, une grotte face à la mer célèbre pour la légende de Saubade et Laorens, deux amants maudits, semblables à Roméo et Juliette. La grotte a ainsi donné son nom à un quartier pittoresque situé entre les plages d’Anglet et le phare de Biarritz. La Love Tower évoque l’éphémère et la beauté des relations humaines, et offre un point de vue imprenable sur l’océan Atlantique.
Au bout de l'allée qui borde l’embouchure de l’Adour à La Barre, on ne manquera pas de découvrir l'œuvre du sculpteur Zigor, "Txoria" (l'oiseau en basque), qui se dresse depuis 2011 tel un Dieu primitif fait de fer et de rouille, protégeant les lieux.
Enfin...
Pendant toute la durée de la Biennale, des événements sont organisés incluant rencontres, performances, ateliers et visites personnalisées. L’inauguration de la Biennale a été marquée par la conversation entre Jean Frémon et Catherine Millet, critique d’art et écrivain, autour de l’exposition "Probité de l’image" et de la parution du livre éponyme de Jean Frémon.
Toutes les expositions de la Biennale sont gratuites, reflétant la volonté de la municipalité depuis de nombreuses années de rendre l'art accessible à tous, enrichissant ainsi la vie culturelle des habitants et des touristes de passage.
Cette édition de la Biennale, par son éclectisme et son originalité, confirme la place d'Anglet comme centre de l'art contemporain depuis les années 1930. Elle illustre comment les créations actuelles enrichissent le quotidien et renforce la position d'Anglet sur la scène culturelle internationale.
La Villa Beatrix Enea, 2017
@Ville d'Anglet - Karine Pierret Delage
Io BURGARD, Passenger, 2021. Plâtre, acier, filasse, polystyrène, miroir, étain. Photo Arthur Péquin. Biennale d’Anglet 2024
à gauche : Io BURGARD, Silhouette a dentro, 2024. Plâtre, filasse, acier, verre, sable.
Photo Arthur Péquin. Biennale d’Anglet 2024.
à droite : Mathilde DENIZE, Suspended, 2022. Huile, pigments et peinture acrylique sur toile, vinyle, feutre, coquillage.
Photo Arthur Péquin. Biennale d’Anglet 2024.
Sur le mur, de gauche à droite :
-Io BURGARD, Alien Miroir, 2024. Plâtre, filasse, acier, verre thermoformé et lustré.
Photo Arthur Péquin. Biennale d’Anglet 2024.
-Io BURGARD, Masque flottant, 2024. Plâtre, filasse, acier, perles, verre thermoformé.
Photo Arthur Péquin. Biennale d’Anglet 2024.
-Io BURGARD, Limule, 2024. Plâtre, filasse, acier, sable, perles.
Photo Arthur Péquin. Biennale d’Anglet 2024.
à droite :
-Io BURGARD, Sphinx, 2022. Plâtre, filasse, sable, miroir, acier.
Photo Arthur Péquin. Biennale d’Anglet 2024.
Kiki SMITH, Born, 2002. Bronze, 3 exemplaires + 1 EA, exemplaire 3/3.
Courtesy Galerie Lelong & Co.
Photo Arthur Péquin. Biennale d’Anglet 2024.
sur le mur, à gauche et au centre :
-Sean SCULLY, 10.24.90, 1990. Pastel sur papier. Courtesy Galerie Lelong & Co.
Photo Arthur Péquin. Biennale d’Anglet 2024.
-Sean SCULLY, Yellow Junction, 1992. Huile sur toile et acier. Courtesy Galerie Lelong & Co.
Photo Arthur Péquin. Biennale d’Anglet 2024.
à droite :
-Jaume PLENSA, Sappho, 2018. Bronze, exemplaire EA 1/1. Courtesy Galerie Lelong & Co.
Photo Arthur Péquin. Biennale d’Anglet 2024.
Kevin ROUILLARD, Horizon : 1 000 blocs, 6 couleurs, 2024.
Photo Arthur Péquin. Biennale d’Anglet 2024.
Mathieu MERCIER, Le bouquet, 2013. Œuvre produite par la Ville d’Anglet pour la Biennale 2013. Don de l’artiste en 2014. Photo Arthur Péquin.
Biennale d’Anglet 2024.
-Flora MOSCOVICI, Les chemins du couchant, 2024. Photo Arthur Péquin. Biennale d’Anglet 2024.
-Mathieu MERCIER, Le bouquet, 2013. Œuvre produite par la Ville d’Anglet pour la Biennale 2013. Don de l’artiste en 2014. Photo Arthur Péquin. Biennale d’Anglet 2024.
Love Tower de Tadashi KAWAMATA
installée à la Chambre d’Amour
(acquisition à terme limité de la Ville d’Anglet)
Love is in the air de Stéphane PENCREAC'H, ici à la Chambre d’Amour, aujourd’hui installée dans le parc de la Villa Beatrix Enea (acquisition de la Ville d’Anglet)
ZIGOR, Txoria, 2011.
Œuvre produite pour la Biennale 2011. Photo Eléonore Bassop
Iris Levasseur
et ses "Chorégraphies"
au Musée de Tessé
Eléonore Bassop
(22.07.2024)
Le Musée de Tessé au Mans accueille l'exposition "Chorégraphies" d'Iris Levasseur du 11 juillet 2023 au 5 janvier 2025. Situé dans un édifice du 19e siècle, le musée présente une riche collection de peintures françaises, italiennes et flamandes allant du 14e au 20e siècle, ainsi qu'une impressionnante collection égyptienne.
Structurée autour de six thématiques, l'exposition consacrée à Iris Levasseur se présente comme un reflet de notre époque, imprégné du passé, oscillant entre fantasmagorie et allégorie. Chaque séquence révèle une facette de la réflexion d'Iris Levasseur sur la condition humaine et les dynamiques sociales.
Chorégraphies
La thématique Chorégraphies ouvre l’exposition, plongeant le visiteur dans la préoccupation de Levasseur pour la posture et le mouvement des corps. L'œuvre "Improvisation" (2023) en est un exemple. Cette pièce illustre la démarche de l’artiste, ancrant son travail dans une figuration détaillée et une palette de couleurs riches. Les corps représentés semblent suspendus dans un moment de danse, capturant une chorégraphie silencieuse et réfléchie.
D’Après
La section D’Après se penche sur la réinterprétation des œuvres antiques à travers le prisme contemporain. "Reconstitution" (2020) est une œuvre phare de cette thématique, mêlant références artistiques antiques, contemporaines et modernes. Cette pièce soulève aussi des questions sur la présence omniprésente des images dans notre quotidien.
"D’après Hodler" (2012) puise son inspiration dans "La Nuit" (1889-1890) de Ferdinand Hodler, mettant en scène la verticalité des figures contemporaines isolées dans des contextes modernes. Le triptyque "Noé" (2022), inspiré par "L'ivresse de Noé" un tableau de Giovanni Bellini (1430-1516), et les fresques de Michel-Ange (1475-1564) qui ornent le plafond de la Chapelle Sixtine, traite des thèmes de l’autorité et du respect des aînés à travers un épisode de la Genèse.
Rebelle
La thématique Rebelle expose des œuvres plus sombres sur le plan visuel. Cette section comprend quatre peintures, de grand format, qui témoignent de l'influence de la peinture allemande du 20e siècle, notamment celle d'Otto Dix (1891-1969) et Max Beckmann (1884-1950), figures majeures du mouvement expressionniste et du courant de la Nouvelle Objectivité.
Les peintures de cette série dévoilent des groupes inquiétants rassemblés autour d’un corps inerte, leurs visages dissimulés dans l’ombre ou déformés comme des masques rituels. La palette sombre et la mise en scène instaurent une atmosphère de tension et de mystère, tandis que la violence est sous-jacente. Philippe Piguier, commissaire de l'exposition, remarque l'influence de l'art bourguignon dans cette série, en particulier à travers les représentations du cénotaphe et du gisant, suggérées par la déposition des corps.
Reflets
Reflets explore le thème des miroirs et des doubles menant à une réflexion sur l’introspection. Les œuvres de cette section, telles que "Bbp un après-midi d’un faune" (2005) et "Fb Miroir" (2019), exploitent les jeux de reflets pour révéler les angoisses intérieures des personnages.
"Bbp un après-midi d’un faune" (2005), une aquarelle inspirée du ballet éponyme de Nijinski, évoque également le mythe de Narcisse dans la posture du personnage qui semble se mirer dans une mare souillée. De même, la toile "Fb Miroir" (2019) montre un personnage en proie à ses démons intérieurs, reflétés dans des miroirs déformants qui montrent des formes grotesques.
Intériorité
La thématique de l'Intériorité présente des œuvres où les modèles et les corps se fondent dans des espaces ancrés dans l'histoire. "Amnésie Fb" (2013) illustre particulièrement cette approche. Cette œuvre représente un personnage allongé sur un socle, avec en surimpression la zone ferroviaire de Pantin, un lieu chargé d'un passé oublié, les quais ayant servi de point de départ pour les convois ferroviaires vers les camps de concentration en 1944. Iris Levasseur souligne que, même si l'on tente de refouler l'histoire, celle-ci refait surface à des moments inattendus. Cette série sur l'Amnésie montre que les êtres humains sont traversés par l'histoire, une notion accentuée par l'influence de peintres tels que Giorgio de Chirico (1888-1978) dont les œuvres sont marquées par l'absence de repères spatio-temporels. Philippe Piguier note que cette série symbolise le lien entre construction et organisme, mettant en lumière la relation entre l'espace physique et le corps humain.
Métaphore du monde
La section Métaphore du monde aborde des thèmes sur la fureur du monde tels que les conflits, les migrations, le fanatisme et les crises écologiques, à travers des œuvres incitant le visiteur à réfléchir sur la marche du monde et la transmission de l’histoire.
"Champs de bataille" (2018-2023) est une série de dessins qui rend visible la dématérialisation de la guerre. S’inspirant de photos et d’images de conflits, Levasseur explore comment l’art peut restituer le chaos mondial.
La série sur les souches, incluant "Souche Akkad" (2017), "Souche Aigle Kobané" (2018), et "Souche workshippers Island" (2017), redonne vie aux œuvres assyriennes de la Mésopotamie antique. Ces pièces rappellent que cette civilisation oubliée est le berceau de l’écriture et qu’elle a laissé un héritage culturel significatif.
Enfin, la série Oiseaux (2017-2024) explore le rapport aux migrants avec des tableaux montrant une main (re)tenant un oiseau. Cette série soulève des questions profondes sur le traitement des migrants: la main protège-t-elle l’oiseau, l’écrase-t-elle ou le laisse-t-elle partir ? Les œuvres posent des questions sur la responsabilité et le sort des personnes déplacées, mettant en lumière les dilemmes moraux liés aux migrations modernes.
Inauguration et perspectives
Alice Gandin, directrice des musées du Mans, a ouvert la visite en soulignant l'importance du dialogue entre les œuvres contemporaines et les collections historiques. Elle a mentionné l’acquisition de nouvelles œuvres pour enrichir les collections, exprimant son enthousiasme quant à la réaction du public face à cette nouvelle exposition.
Philippe Piguet, commissaire de l'exposition, a détaillé l’articulation de "Chorégraphies", cette ponctuation rétrospective qui marque une partie du parcours artistique d’Iris Levasseur, mettant en lumière la pertinence de son regard sur le monde actuel.
Sophie Moisy, adjointe au maire, a rappelé la volonté de Stéphane le Foll, Maire de la ville du Mans, de promouvoir l'art contemporain, notamment à travers la gratuité des musées depuis 2021, rendant la culture accessible à tous sous toutes ses formes, positionnant ainsi Le Mans comme une ville de culture et pas seulement de voitures.
Anaïs Verdoux, commissaire de l’exposition, a souligné son intérêt pour la diversité des techniques de Levasseur et l'importance de la représentation du corps avec des codes de genre savamment occultés. Elle a expliqué que les œuvres de Levasseur incitent à une immersion détaillée et personnelle, chaque spectateur pouvant en avoir une interprétation différente.
Le cadre historique et artistique du Musée de Tessé s’avère être le lieu idéal pour l’exposition "Chorégraphies", ajoutant une autre dimension à l’interprétation des œuvres. Les salles du musée, avec leurs plafonds ornés et leurs murs chargés d’histoire, créent une atmosphère propice à la contemplation et à l’appréciation des créations d’Iris Levasseur.
Biographie d'Iris Levasseur
Née à Paris en 1972, Iris Levasseur est diplômée des Beaux-Arts de Paris et enseigne aux Arts Décoratifs de Paris. Ses œuvres figurent dans des collections prestigieuses telles que le Centre Pompidou et le musée de la Chasse et de la Nature.
Après une résidence à Kinshasa, elle a créé des œuvres centrées sur la figure du colon, ajoutant une perspective inédite à son exploration artistique à découvrir.
Improvisation, 2023
Aquarelle sur papier
D'Après Hodler, 2012
Pierre noire et aquarelle sur papier
Tauromachie, 2009
Huile sur toile
Reconstitution, 2020
Pierre noire et aquarelle sur papier
Fb miroir, 2019
Pierre noire, aquarelle et gouache sur papier
Noé, 2022
Aquarelle sur papier
Amnésie Fb, 2013
Aquarelle, fusain et mine graphite sur papier
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne (Paris)
Souche aigle kobané, 2018
Acrylique sur toile
La Couleur de l'Esclavage
Réalisateur / Patrick Baucelin
Serge Nefja de Moere
(06.05.2024)
Patrick Baucelin's film “La Couleur de l'Esclavage” (The Color of Slavery) was presented on May 6, 2024 at the French National Assembly and on May 13 at the French Senate.
This hard-hitting report deeply engages viewers, highlighting the horror, humiliation and dehumanization of slavery.
Baucelin plunges audiences into a shocking reality, far beyond imagination or the usual historical accounts.
The film bears witness to the worst abuses of colonialism and racist ideologies. It reminds us that the sufferings of slavery still resonate in our collective memory, and underlines the importance of never trivializing this historical abomination.

Dossier de presse de Serge Nefja de Moere
Photo Mubi
Tribute to Yun Jung-Hee
Eléonore Bassop
(13.11.2023)
Le ciné-club du centre culturel coréen de Paris a organisé deux séances spéciales pour honorer l'actrice Yun Jung-hee, décédée le 19 janvier 2023. Ces séances, tenues les 27 octobre et 10 novembre 2023, incluaient des discussions avec la réalisatrice Han Kyung-Mi, animatrice du ciné-club.
Yun Jung-hee (1944-2023) était une figure emblématique du cinéma coréen des années 1960 à 1980. Elle a marqué plusieurs générations avec ses rôles divers et complexes, contribuant largement au cinéma sud-coréen. Débutant en 1966 avec "Cheongchun Geukjang", elle a joué dans plus de 200 films et remporté une vingtaine de prix. Parmi ses œuvres notables figurent "Le Brouillard" (1967), "An Old Potter" (1969), "A Shaman’s Story" (1972), "Samil cheonha" (1973), "L'Arc divin" (1979), et "Poetry" (2010).
Le ciné-club a projeté "Le Brouillard" et "Poetry", illustrant la diversité et la richesse du cinéma coréen. "Le Brouillard", réalisé par Kim Soo-yong, raconte une histoire d'amour dans un village brumeux. "Poetry", de Lee Chang-dong, suit Mija, une grand-mère découvrant la poésie tout en luttant contre la maladie d'Alzheimer, un rôle poignant pour Yun Jung-hee qui faisait son retour à l'écran après 15 ans d'absence et qui résonnait avec sa propre vie.
Vivant en France depuis 1973 avec son mari, le pianiste Paik Kun-woo, et leur fille, la violoniste Paik Jin-hi, Yun Jung-hee a reçu en 2011 les insignes d'officier de l’Ordre des Arts et des Lettres. Elle est décédée à 78 ans après une longue bataille contre Alzheimer.
Le ciné-club a ainsi permis de redécouvrir deux chefs-d'œuvre du cinéma coréen et de célébrer la carrière exceptionnelle de cette grande actrice.
experiences of oil
Les artistes carburent au pétrole
Eléonore Bassop
(21.10.2022)
Le Stavanger Kunstmuseum en Norvège a accueilli en 2022 l’exposition Experiences of Oil. 16 artistes norvégiens et internationaux ont exploré l’impact du pétrole sur les sociétés, notamment en Afrique.
Pourquoi une exposition sur le pétrole à Stavanger ?
Stavanger, surnommée la « capitale pétrolière de la Norvège », a été transformée par la découverte du gisement pétrolier Ekofisk en 1969, entraînant des infrastructures modernes et un fonds souverain parmi les plus riches au monde.
Experiences of Oil, la Conférence
Anne Szefer Karlsen et Helga Nyman ont organisé une série de conférences en ligne en novembre 2020, discutant de l’impact du pétrole sur notre quotidien et ses aspects socioculturels, politiques et écologiques. Kathryn Yussoff, Timothy Mitchell, et Roshini Kempadoo ont présenté leurs travaux, explorant les implications historiques et actuelles du pétrole.
Experiences of Oil, l’Exposition
Sous la direction de Hanne Beate Ueland, l’exposition présente des œuvres reflétant les conséquences du pétrole. Otobong Nkanga, Kiyoshi Yamamoto, Monira Al Qadiri, Farah Al Qasimi, Shirin Sabahi, et Apichatpong Weerasethakul figurent parmi les artistes exposés, offrant des perspectives sur les impacts environnementaux, sociaux et économiques du pétrole.
L’exposition et les conférences soulignent la nécessité de repenser notre dépendance au pétrole et les défis de l'abandon des énergies fossiles. Une anthologie, Experiences Of Oil, a également été publiée.
https://www.stavangerkunstmuseum.no/en/events/opplevelser-av-olje