Ana Vidigal au CCCOD : Entre Enfance et Mémoire Collective
- Eleonore Bassop
- 20 nov. 2024
- 3 min de lecture

L’exposition Pour voir, ferme les yeux, consacrée à l’artiste portugaise Ana Vidigal, se tient au Centre de Création Contemporaine Olivier Debré (CCCOD) à Tours, du 4 octobre 2024 au 9 mars 2025. Sous le commissariat d’Élodie Stroecken, cette rétrospective traverse l’œuvre d’une artiste qui mêle souvenirs personnels et récits collectifs à travers une approche artistique subtile.
Entre archives et enfance
Née à Lisbonne en 1960, Ana Vidigal, diplômée de l’École Supérieure des Beaux-Arts de Lisbonne, a grandi dans un milieu bourgeois imprégné de la rigueur de l’Estado Novo. La Révolution des Œillets de 1974, vécue à l’adolescence, a profondément influencé son travail. Ses œuvres, construites à partir d’archives familiales et d’objets du quotidien, tissent des liens entre l’intime et l’universel. Les collages et peintures exposés au CCCOD témoignent de son esthétique minimaliste, où chaque élément participe à une narration complexe.
Pinocchio et les contradictions de l’enfance
L’un des motifs centraux du travail de Vidigal est Pinocchio, figure symbolisant le contraste entre vérité et mensonge, liberté et contrainte. Ce personnage reflète les attentes pesant sur l’enfance, notamment dans une famille attachée aux apparences. « On m’a appris à cacher ce qui dérange, à sourire, à être une petite fille modèle », confie l’artiste, évoquant les pressions de son éducation.
Dans des œuvres comme Era uma vez uma casa (Il était une fois une maison, 2020), des jouets et livres d’enfants, évocations d’un univers protecteur, se mêlent à des éléments suggérant le contrôle et les non-dits. L’enfance y devient un espace où le silence imposé entre en conflit avec les désirs d’évasion.
Vidigal aborde l’enfance non comme un âge d’innocence, mais comme un lieu de tensions entre obéissance et opposition. La série Menina Limpa. Menina Suja (Fille propre, fille sale), inspirée d’Emília, héroïne des contes de Monteiro Lobato, interroge les normes éducatives et sociales. Cette exploration révèle le contraste entre l’image lisse de la conformité et la quête intérieure de liberté, renforcée par les bouleversements politiques de son époque.
L’esthétique de l’ellipse
Les œuvres de Vidigal, nourries d’objets ordinaires – coupures de presse, carnets, textiles – fonctionnent comme des capsules temporelles. « Ce que je ne montre pas est aussi important que ce que je révèle », explique-t-elle. Ses compositions, souvent superposées, invitent à une lecture attentive où chaque détail devient un point d’interrogation sur la vérité et le secret.
Une perspective sur la France
La France occupe une place particulière dans l’imaginaire de l’artiste, notamment à travers les magazines Jours de France ou Paris Match, qu’elle consultait enfant. Ces publications, échappant à la censure salazariste, représentaient un ailleurs fantasmé. Vidigal revisite également dans ses œuvres les figures des Parisiennes de Kiraz, dont la sophistication stéréotypée devient un terrain d’exploration et de critique.
Une poésie visuelle tissée de tensions
L’exposition Pour voir, ferme les yeux couvre quinze ans de création, privilégiant une approche thématique plutôt que chronologique. Vidigal utilise une diversité de matériaux pour construire des œuvres où souvenirs intimes et histoire collective se rencontrent.
Travaillant depuis toujours dans un atelier intégré à son domicile, elle décrit son processus comme un mélange de réflexion et d’intuition : « Parfois, c’est en faisant la vaisselle que je trouve une solution. » Cette méthode nourrit une œuvre où des thèmes sérieux sont traités avec une légèreté apparente.
Un dialogue critique et ludique
Malgré la gravité de ses sujets – répression, attentes familiales, poids des conventions, Vidigal conserve une approche ludique. Ce contraste entre une esthétique enfantine et des réflexions profondes donne à ses œuvres une intensité particulière, oscillant entre nostalgie et questionnement.
Informations pratiques :
Dates : Du 4 octobre 2024 au 9 mars 2025
Lieu : Centre de Création Contemporaine Olivier Debré (CCCOD), Tours
Site web : www.cccod.fr
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