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Enfance volée : les séquelles du passé

L’ère du post-racialisme repose sur l’idée que le racisme appartient au passé, et beaucoup croient que les jeunes seront désormais épargnés par ce fléau. Cependant, l'actualité nous rappelle régulièrement que ceux qui ne correspondent pas aux stéréotypes ont subi et continuent de subir les conséquences des discriminations raciales qui persistent dans nos sociétés occidentales. La littérature et le cinéma nous permettent de comprendre ces histoires et de prendre la mesure des traumatismes vécus par les enfants.


En juin 2021, une nouvelle du Canada nous a sorti de la torpeur estivale : plus d'une centaine de restes d'enfants autochtones ont été exhumés lors de fouilles près d’un pensionnat tenu par l'Église catholique, s'ajoutant aux 250 corps retrouvés dans une autre région. Ces découvertes macabres témoignent des abus subis par les enfants des Premières Nations, victimes de la doctrine « Tuer l’indien dans l’enfant » et de l’assimilation forcée à la culture occidentale.


Dans le documentaire "Nous n’étions que des enfants…", les réalisateurs Objiwé Lisa Meeches et Tim Wolochatiuk reviennent sur le rôle néfaste de l’Église catholique dans la séparation brutale des enfants amérindiens de leurs familles et les conséquences de ce déracinement : éclatement des familles, toxicomanie, alcoolisme, violence et suicide. Donna Meehan, dans son autobiographie "Mon enfance volée", révèle la tragédie des enfants aborigènes qui ont subi le même sort que les enfants amérindiens du Canada.


Aux États-Unis, en 2014, les fouilles sur le terrain de la Dozier School en Floride ont révélé les restes de plus de 80 jeunes. Pendant plus d'un siècle (1900-2011), cette maison de redressement a infligé les pires sévices à des jeunes de 6 à 18 ans sans que personne ne soit jamais inquiété. L'auteur afro-américain Colson Whitehead s'est inspiré de cette histoire pour son roman "Nickel Boys". Situé dans les années 60, il raconte l’histoire d’Elwood Curtis, un jeune afro-américain emprisonné à la Nickel Academy à la suite d'une erreur judiciaire. Ce roman, qui a valu à l'auteur un second Prix Pulitzer, décrit en détail la déshumanisation progressive des jeunes détenus par les châtiments, les sévices et les viols. Un roman de la colère sans concession.


En France, entre 1962 et 1984, Michel Debré, alors député de la Réunion, a permis l’envoi de plus de 2.000 enfants réunionnais en métropole pour travailler dans des fermes, repeupler les campagnes et freiner la « surpopulation » de l’île. En 2018, « les enfants de la Creuse » ont demandé à l’État français des excuses et des réparations. Ivan Jablonka, historien au Collège de France et auteur de l'ouvrage "Enfants en exil", écrit : « Historien de l'enfance orpheline, j'ai rarement été confronté à tant de souffrances. Dans les archives, on trouve des cas d'enfants de 12 ans qui tentent de se suicider, sont internés, tombent en dépression ou deviennent délinquants sans raison. On trouve des lettres désespérées suppliant l'administration de les rapatrier à la Réunion. En vieillissant, alcoolisme, clochardisation, suicides sont monnaie courante. »


En parlant d’enfance volée, on ne peut passer sous silence le calvaire de ces jeunes que la France enferme dans des centres de rétention administrative en violation de la Convention internationale des droits de l’enfant. L’État français a déjà été condamné à cinq reprises par la Cour européenne des droits de l’homme. Depuis 2018, et l’examen de la loi Asile et immigration, plus de 600 jeunes ont vécu le traumatisme de la détention en France métropolitaine, dont plus de 300 à Mayotte.


Ces crimes commis contre l’enfance sont les conséquences d'une histoire coloniale qui perdure sous d'autres formes. Les politiques d'immigration, les politiques carcérales et les violences policières en sont les manifestations directes, touchant durement des jeunes toujours plus fragilisés lorsqu'ils ne sont pas détruits.


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