Femmes africaines et Spiritualité - Point de vue de Dr S.N Nyeck
- Eleonore Bassop
- 20 mai 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 mai 2024

Dr S.N Nyeck est une universitaire distinguée enseignant dans des universités américaines. Elle détient un doctorat en sciences politiques et économiques de l'Université de Californie Los Angeles et un doctorat en théologie pratique de Virginia Theological Seminary. Professeure Associée à l’Université de Colorado Boulder, cette Américaine d'origine camerounaise du peuple Bassa a récemment été intronisée Mbombok (Reine, Guide). Qu'est-ce qui a conduit cette intellectuelle vers ce retour aux sources ? J'ai voulu en savoir davantage et suis donc allée à sa rencontre.
EB :
Bonjour Dr Sybille Ngo Nyeck, vous avait été intronisée Mbombok par la confrérie du Koo. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est ce titre ?
Dr. S.NN :
Le peuple Bassa, Mbô et Bâti voit l’être humain comme un nœud crucial dans une longue chaîne du vivant. L’homme est en quête de réalisation par une communion consciente avec le passé, le présent et l’avenir, intégrant à la fois les aspects visibles et invisibles de la vie. Bien que les Bassas n'aient pas de concept spécifique de Dieu, ils reconnaissent, comme la plupart des peuples Bantous, un Être suprême au-delà de toutes formes de vie.
Socialement et organisationnellement, le Mbombok est l’autorité qui veille à l’équilibre spirituel, social et économique, et qui éveille les consciences. Cette personne rappelle que notre existence est un assemblage de multiples aspects du vivant. Porter le titre de Mbombok, une responsabilité majeure, implique la plus haute initiation, au-delà des dimensions surnaturelles ou divines. Il existe des Mbombok hommes et femmes.
Le rite Koo, une confrérie exclusivement féminine, prépare les Mbombok femmes à gouverner les personnes et les choses, animées ou inanimées, en utilisant la sagesse ancestrale. Le titre de Mbombok par l’initiation Koo a une symbolique sociale, spirituelle et politique essentielle dans l’organisation des peuples Bassa, Mbô et Bâti.
EB :
Qu'est-ce qui a motivé votre initiation ? Était-ce une quête anthropologique, philosophique, théologique ?
Dr. S.NN :
Il est à la fois difficile et évident de déterminer le moment précis où j'ai réalisé que je devais suivre ce chemin initiatique. Cette quête m'a toujours hantée. J'ai entendu parler du Koo très jeune, grâce à ma grand-mère qui m'a raconté ces réunions secrètes de femmes dans la forêt, interdites aux regards extérieurs. Cette histoire m'a fasciné.
Dans mon environnement, je n'avais jamais vu de femme Koo ou Mbombok, et je pensais que ces traditions avaient disparu. Cependant, au fil des années et de mes recherches, j'ai découvert que le Koo existait toujours. Du côté de mon père, Mbô, j'ai trouvé des femmes faisant partie de ce cercle et suis entrée en contact avec elles.
Cette quête s'est intensifiée ces cinq dernières années, durant lesquelles j'ai pu nouer des liens et affiner ma démarche. Bien que n'étant pas initiée, je n'étais pas non plus novice. Ma quête est à la fois spirituelle, philosophique et anthropologique, une quête profondément humaine.
Pour reprendre Léopold Sedar Senghor : "L’Afrique vit au rythme d’une humanité qui vise à ranimer l’intériorité de l’être humain dans sa grandeur et dans l’idéal, au-delà des questions de race, de couleurs ou de géographie." Ce rythme m'a interpellé, surtout en tant que chercheuse. Nous avons un héritage précieux du peuple Bassa, Mbô et Bâti, un trésor à partager.
Je suis entrée dans cette confrérie pour mieux connaître mes racines et me ressourcer, avec l'objectif de partager ces connaissances avec le monde, partout où cela est possible.
EB :
Dans le contexte africain, existe-t-il une spiritualité féminine distincte de celle des hommes en Afrique ? Comment ces sociétés secrètes influencent-elles le tissu social ?
Dr. S.NN :
À mon avis, le terme "société secrète" n'est pas pertinent, car il renvoie au siècle des Lumières avec l'idée que tout ce qui est connu est dans la lumière, tandis que le reste est condamné à l'obscurité, voire à l'obscurantisme. Nous ne pouvons pas parler de sociétés secrètes dans un tissu social national ; il est essentiel de distinguer entre le pouvoir politique d'un État et les formes de gouvernance qui ont toujours existé, évoluant et se transformant en fonction de leurs interactions avec l'État. Ces cercles n'ont pas de vocation nationale, mais des ethnies ayant préservé certaines formes de spiritualité et de connaissances peuvent apporter une richesse de valeurs et de savoirs à l'échelle nationale.
De plus, il ne faut pas oublier que dans les États africains, comme dans la plupart des pays ayant connu la colonisation, il y a eu un mépris et un discrédit des us et savoirs des peuples colonisés. Par conséquent, le rôle de ces cercles reste à déterminer car ils n'ont pas toujours été acceptés au niveau national.
En ce qui concerne l'existence d'une spiritualité féminine différente de celle des hommes, je répondrais non. Toutefois, la méthode et l'approche peuvent varier car la spiritualité pousse à une connexion profonde avec son être intérieur et extérieur. Sur le plan anthropologique, il existe en Afrique de l'Ouest des spiritualités centrées sur les femmes, exploitant les énergies et symboles féminins. En résumé, la différenciation est à la fois réelle et illusoire ; elle ne vise pas à affirmer des antagonismes biologiques ou idéologiques. Chez les Bassas, Mbô et Bâti, il existe des cercles exclusifs pour les femmes, pour les hommes, et des cercles mixtes. L'objectif n'est pas de renforcer les identités distinctes, mais d'utiliser ces réservoirs d'énergie pour œuvrer à une humanité plus équilibrée.
EB :
Dans le cadre de vos recherches, vous explorez divers domaines, dont les études cinématographiques. Quelle est la place de l’art dans les sociétés secrètes ? Est-ce un vecteur de connaissance ou de folklorisation ?
S.NN :
Le terme "folklorisation" est intéressant. Il dérive de "folk", qui en anglais signifie "gens", pas des indigènes, mais des gens simples.
Dans les cercles initiatiques, comme l'ont noté les anthropologues, il s'agit d'un processus où l'on apprend à se dépouiller de tout ce que l'on a reçu. C’est complexe car nous sommes tous formatés par notre société. L'art le plus élevé et le plus important est le travail sur soi. En travaillant sur soi, on s'ouvre à d'autres possibilités. L’art n’est plus seulement une activité, mais quelque chose de profondément enraciné en nous. On ne peut pas envisager les cercles initiatiques sans les voir comme des vecteurs de connaissances non individualisées.
Dans des cercles plus connus comme le vaudou, l’art est crucial car il maintient une présence constante dans la société et véhicule des symboles activés par des artistes talentueux. Les peuples Bassas, Mbô et Bâti ne sont pas réputés pour leurs artisans, mais leur premier art est le verbe. Ils ont une expression commune, "Man Mêe", désignant quelqu’un qui maîtrise l’art de la parole. Cela rappelle le premier chapitre de la Genèse : "Au commencement était le verbe".
Pour ces cercles initiatiques, l’art est fondamental car il permet de découvrir les mystères de la vie, mais aussi l’art de voir, de penser, et de s’exprimer.
Je développe de plus en plus cette matière car je m'intéresse aux expressions artistiques, que ce soit par le cinéma, la chanson ou d'autres formes d’art, particulièrement dans le courant afro-futuriste. Ces formes d’art nous interpellent tous et il est crucial de préparer les peuples à apprendre à lire leur propre art. C’est très important !
EB :
En tant qu’universitaire et maintenant Mbombok, pensez-vous publier un essai sur votre parcours initiatique ?
Dr. S.NN :
Bien sûr, je pourrais publier un essai sur mon parcours initiatique. Comme je l’ai expliqué, ce parcours est à la fois intellectuel, social et spirituel. Cependant, je ne divulguerai pas tous les aspects des rites que j’ai accomplis, car ils appartiennent à ceux qui les pratiquent. Je ne cherche pas à exposer les rituels du Koo. Les peuples Bassa, Mbô et Bâti méritent le respect, nous partagerons ce que nous jugeons approprié et garderons le reste pour nous.
Je ne retourne pas à mes racines pour tout bouleverser, mais pour trouver ma place et accomplir ma mission. Cette mission n’est pas de révéler les rites des peuples Bassa, Mbô et Bâti, mais de partager ce qui peut être utile à mon peuple et à tous ceux qui recherchent un savoir équilibré, respectueux et profond, pour une humanité meilleure.
EB:
Merci Dr S.N Nyeck d’avoir répondu à mes questions.
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