Mémoire et Théâtre
- Eleonore Bassop
- 5 juil. 2024
- 4 min de lecture
Pendant mon séjour à Séoul, j’ai eu l’occasion de voir deux chef-d’œuvres du théâtre coréen : la pièce Hwal Hwa San et la comédie musicale The Hero. Ces œuvres sont importantes car elles retracent l’histoire de la Corée et parviennent à unir un peuple autour de son patrimoine culturel et historique.
Hwal Hwa San, écrit par Cha Beomseok et présenté au public pour la première fois en 1974, raconte l'histoire de Kim Jeong-sook, une femme au foyer au sein d'une famille traditionnelle et autrefois noble, en difficulté à la fin des années 1960. Face à l'adversité, Jeong-sook décide de prendre les rênes et guide son village et sa famille vers le changement et la prospérité. Cette pièce de théâtre illustre la modernisation de l'économie rurale dans les années 1970 et de l'évolution de la société sud-coréenne, grâce notamment au mouvement Saemaul Undong instauré par le régime de Park Chung-hee.
Pour marquer le 100e anniversaire de la naissance de Cha Beom-seok, dramaturge très respecté en Corée, la Compagnie Nationale de Théâtre de Corée a choisi de remettre en scène Hwal Hwa San, pour en tester son écho aujourd’hui. Le succès a été au rendez-vous puisque chaque représentation a fait salle comble. Hwal Hwa San se jouait au théâtre de Myeongdong jusqu’au 17 juin.
The Hero est une comédie musicale créée en 2009, adaptée au cinéma en 2022, pour honorer la mémoire d'Ahn Jung-geun, considéré comme un martyr et un héros tant en Corée du Sud qu'en Corée du Nord.
En 1909, sous l'occupation japonaise, Ahn Jung-geun, engagé dans la résistance armée, assassine le Résident-General japonais en Corée. Emprisonné et exécuté par les autorités japonaises le 26 mars 1910 à l'âge de 30 ans, Ahn Jung-geun devient une figure emblématique de la lutte pour l'indépendance coréenne.
La comédie musicale The Hero raconte son histoire héroïque ainsi que celle de ses compagnons. Le spectacle dure 2h40, avec une pause de 20 minutes pour reprendre son souffle, car croyez-moi, c'est une montagne russe émotionnelle. Il suscite une vive émotion chez les spectateurs qui réagissent avec ferveur à chacune des scènes.
(The Hero, Sejong Center) (Hwal Hwa San, National Theater Company of Korea)
Le décor est tout simplement incroyable. Grâce à une scénographie dynamique, on se retrouve transporté dans différents lieux historiques, des forêts de bouleaux en Russie aux rues de Harbin en Chine, en passant par les sombres cellules de prison japonaises. Les décors modulables permettent de changer d'ambiance en un clin d'œil, ce qui maintient le rythme effréné du spectacle. Le jeu de lumières accentue les moments de tension et les scènes émotionnelles. Quand les coups de feu retentissent ou que la fumée envahit la scène, on se croirait vraiment en pleine action. La musique est un mélange de sons et de compositions modernes jouée par un orchestre dirigé par une jeune cheffe d’orchestre. La chorégraphie concoure à exalter le patriotisme des spectateurs. Tandis que les costumes sont fidèles à l'époque coloniale japonaise et montre le goût prononcé des japonais pour un occident qui fascine toujours autant aujourd’hui. C’est ainsi que l’on peut voir des uniformes militaires, des vêtements traditionnels, des tenues de la cour impériale, mais aussi des robes élégantes et des queues de pie. Sur scène des véhicules d’époque contribuent à une immersion totale dans l'histoire.
Les représentations du mercredi, accessibles aux enfants dès 8 ans, attirent de nombreuses familles, contribuant ainsi à transmettre cet héritage historique aux plus jeunes. The Hero est à voir au Sejong Grand Theater jusqu’au 11 août 2024.
Pour être complet sur la vie de ce héros national, il est à noter que l’autre héritage laissé par Ahn Jung-geun, ce sont ces calligraphies très appréciées et considérées comme des trésors nationaux. J’ai vu quelques uns de ces écrits au Musée Ojukheon à Gangneung tout comme j’ai pu entendre sa voix enregistrée lors de l’un de ces procès. Les textes ont été écrits pendant son emprisonnement, dans l’attente de son exécution. De nombreuses calligraphies sont des maximes et des aphorismes tirés des Analectes de Confucius ou de documents historiques. Certaines d'entre elles sont ses propres compositions, exprimant ses pensées et ses sentiments sur la nature éphémère du monde, et sa méfiance à l'égard du Japon. Ces autographes sont reconnaissables parce qu’à côté de la date et du lieu de la rédaction est apposée l’empreinte de la main de l’auteur à laquelle il manquait le bout de l'annulaire gauche, coupé lors d’un pacte avec ses compagnons, en signe de dévouement à leur pays.
À voir le public nombreux à chaque séance, comprenant beaucoup de jeunes, des enfants et des moins jeunes, j’ai compris que ces œuvres captivent le public coréen parce qu’elles réaffirment leur lien profond avec l’histoire de leur nation tant éprouvée. Elles servent à transmettre un héritage national. C’est fascinant de voir en direct comment l'art joue ce rôle crucial dans la société, permettant aux générations de se connecter à leur passé et de mieux comprendre l’évolution de leur pays.
Pendant que j'assistais à ces spectacles, je n’ai pu m’empêcher de penser à nos héros africains. Leurs histoires sont souvent immortalisées dans des livres qui se couvrent de poussière, malheureusement de moins en moins lus. Serait-il inconvenant de les ramener à la vie à travers des pièces de théâtre ou des comédies musicales ? Douala Manga Bell, Um Nyobe, le roi Behanzin, la reine Pokou, Patrice Lumumba, Winnie Mandela, Nelson Mandela et tant d'autres.
Récemment, le journaliste Serge Bilé a ouvert la voie en mettant en scène la vie de Félix Houphouët-Boigny dans une comédie musicale. Il est temps que d'autres auteurs talentueux prennent le relais et portent sur scène nos valeureux héros africains. Cela pourrait être une formidable façon de célébrer, d’enseigner et de transmettre notre histoire.
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