Presi per incantamento : Entre réel et imaginaire
- Eleonore Bassop
- 20 nov. 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 nov. 2024

Une forêt dorée, des lumières mouvantes, des sculptures délicates : au Centre de Création Contemporaine Olivier Debré (CCCOD) à Tours, l’exposition Presi per incantamento transporte ses visiteurs dans un univers où le merveilleux surgit à chaque instant. Inspirée par la poésie de Dante et des œuvres d’art visionnaires, elle explore notre relation à la nature, au vivant et à l’invisible.
Dès l’entrée dans la Galerie Blanche, le titre évocateur de l’exposition, Presi per incantamento (pris par l’enchantement), s’impose comme un manifeste. Il traduit cet état suspendu où l’art nous fait basculer dans une autre dimension. Ce glissement, orchestré par les commissaires Chiara Bertola et Isabelle Reiher, prend vie à travers les créations de 15 artistes internationaux, dont Mona Hatoum, Stefano Arienti et Christiane Löhr. Ensemble, leurs œuvres tissent un dialogue mêlant fragilité, force et réflexion critique.
Éphémère et résilience : redessiner le réel
L’œuvre Le Semeur d’yeux (2024) de Giuseppe Caccavale, inspirée du livre de Luba Jurgenson sur l’écrivain soviétique Varlam Chalamov (1907-1982), interné pendant 17 ans dans un Goulag, se présente comme une méditation sur la mémoire et la résistance à l’effacement. Ce dessin monumental au crayon capture des fragments d’existence, en écho à une idée essentielle de Chalamov : « L’important est de s’en tenir au petit, à une miette de vie – isolée, mais exemplaire. » Par son humilité et sa portée universelle, l’œuvre rappelle que l’art, même dans sa simplicité, peut rendre visible l’indicible.

L’exposition explore également ce que Marcel Duchamp appelait l’inframince : cet espace où le perceptible devient presque imperceptible. Les installations de Christiane Löhr, qui assemble graines et tiges naturelles pour créer des microcosmes, interrogent notre rapport à la fragilité du vivant et sa préservation. Cette réflexion rejoint celle de Joëlle Zask dans Admirer, où l’émerveillement apparaît comme une condition préalable à toute prise de conscience envers la nature et l’humanité.
Le mouvement comme paysage mental : Joan Jonas
Parmi les œuvres marquantes figure une vidéo réalisée en 2017 par Joan Jonas, pionnière de l’installation vidéo. Filmée en Asie, cette création mêle scènes du quotidien, personnages masqués et dessins évoquant les cycles de la vie. Fidèle à son approche expérimentale, Jonas montre comment l’art peut brouiller les frontières entre réel et imaginaire.
Lumière et ombre : Mona Hatoum et le sublime troublant
Certaines œuvres confrontent le spectateur à une dualité entre émerveillement et inquiétude. Misbah de Mona Hatoum, une lanterne orientale projetant des motifs mouvants, joue sur cette ambiguïté. Les ombres, d’apparence décorative, révèlent des silhouettes de soldats armés, suscitant un mélange de fascination et de malaise. Ce contraste, que Burke nommait la « terreur délicieuse », rappelle que le sublime s’accompagne souvent d’un sentiment d’effroi.

La nature comme espace de transformation
Stefano Arienti, avec sa forêt dorée peinte sur des bâches de chantier, réinvente un matériau ordinaire en vision poétique. Les branches et feuilles, rehaussées de dorures, invitent à redécouvrir la nature à travers le prisme des contes. Cette réinterprétation résonne avec les photographies de Laurent Mulot, où deux silhouettes minuscules se perdent dans l’immensité d’un paysage, exprimant à la fois la fragilité de l’individu et sa quête d’harmonie avec l’univers.
Comme le décrit Romain Rolland dans sa correspondance avec Freud, le « sentiment océanique » – cette sensation d’unité avec l’immensité – offre une voie vers une réconciliation entre l’humain et le vivant.
Une expérience collective et introspective
Presi per incantamento dépasse l’expérience individuelle en créant un espace d’échanges. Les œuvres interagissent entre elles et avec les visiteurs, intégrés dans cette mise en scène mouvante. Alveare de Remo Salvadori évoque une partition silencieuse, où les lignes de cuivre vibrent au rythme des déplacements du public.
Les silhouettes aériennes de Carolina Antich, évoquent l’enfance. En observant ces petits personnages, il est difficile de ne pas penser à l'univers du Petit Prince, qui nous invite à une réflexion intemporelle sur la quête de compréhension et de sagesse. Plus loin, le labyrinthe de papier d’Elisabetta di Maggio, sculpté à la main, traduit une résistance au rythme effréné du monde.
Les œuvres sonores de Mariateresa Sartori complètent cette exploration. En amplifiant des bruits anodins – souffle, froissement – ses installations transforment des gestes ordinaires en expériences sensorielles presque mystiques, interrogeant notre capacité à écouter et préserver le vivant.
Une invitation à traverser les mondes
En puisant dans des matériaux modestes, des récits oubliés et des savoir-faire anciens, l’exposition bâtit des ponts entre passé et présent, tangible et imaginaire. À l’image des héros de Dante, les visiteurs sont pris dans un enchantement, invités à franchir ces seuils qui redéfinissent notre perception du réel.
Informations pratiques
Exposition Presi per incantamento
Centre de Création Contemporaine Olivier Debré (CCCOD), Tours
15 novembre 2024 – 4 mai 2025
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